ENSEMBLE Nr. / N° 22 - Oktober / Octobre 2017

8 Dossier —– ENSEMBLE 2017/22 Quelques feuilles sont disposées au centre. Les personnes discutent entre elles dans l’harmonie, en évitant la controverse. Leurs sourcils froncés trahissent la volonté de garder un sérieux adapté à la circonstance. Deux tableaux sont accrochés à la paroi de la salle. L’un d’eux a pour principal motif un livre dont les pages ouvertes font penser aux ailes d’un oiseau – une colombe? –; sous le livre, un griffonnage sauvage, au-dessus, des lettres et des mots multicolores formant un en- semble bigarré mais néanmoins ordonné. Le deuxième tableau présente une calligraphie de caractères arabes qui voguent comme des navires sur la mer. Les voiles sont hissées en direction d’un soleil d’une blancheur éblouissante vers lequel se dirigent les bateaux. Sous les caractères, la mer semble très agitée, mais en même temps domptée. Légèreté et gravité Quels sont les principaux messages véhiculés par ce tableau d’ensemble imaginaire, dont les diffé- rentes parties ont été assemblées par l’auteur de cet article; comment l’interpréter par rapport à l’Eglise réformée? Le thème dominant qui s’en dégage est l’une des préoccupations fonda­ mentales de la Réforme: la liberté. Intitulée «Atemwolke» (nuage du souffle), l’installation de ballons est une œuvre de Micha Aregger qui orne différentes églises réformées de la région de Lucerne durant l’année commémorative de la Réforme. Selon l’artiste, les ballons gonflés sym- bolisent l’air en tant que matière et don de Dieu qui unit tous les humains. Une légèreté, une allé- gresse aériennes et célestes enveloppent ce nuage auquel fait en même temps écho la gravité d’une transmission frontale de la foi par la parole. L’espace de liberté représenté par l’air rappelle aussi implicitement la contribution de la Réforme à la libération de l’art de la sphère sacrée et son ouverture à la sphère profane, qui a entraîné un immense élan de créativité. Ainsi, la foi de la liberté suscite aujourd’hui encore des contradic- tions durables et étroitement liées qui sont source de créativité. L’antithèse au nuage du souffle se joue dans la salle de réunion à l’atmosphère renfermée du bâtiment paroissial. L’image est née de l’imagina- tion du jeune théologien Dominik von Allmen, qui vient de commencer son stage pastoral à Bürglen près de Bienne. Dominik von Allmen a intitulé son «tableau» avec ironie: «spiritualité protestante». Il y démasque la réunion comme une prière céré- brale en groupe, illustrée par le signe commun du froncement de sourcils. Une prière qui ne parvient pas à déboucher sur un moment de partage détendu et vivant. Que manque-t-il à cette «eccle- siola», cette Eglise en miniature pour qu’elle devienne aussi vivante? Des lettres vivantes Les peintures suspendues à la paroi de la salle de réunion dans le tableau d’ensemble imaginaire constituent une tentative de réponse. Elles pro- viennent du souvenir de la pasteure biennoise Kathrin Rehmat, qui a elle-même participé au lancement de plusieurs projets artistiques. Kathrin Rehmat les a vues lors du Kirchentag à Berlin. Les deux tableaux rappellent une expérience libéra- trice vécue dans la lecture, et notamment l’«expé- rience de la tour» au cours de laquelle le moine Martin Luther découvre enfin un Dieu miséricor- dieux dans la lecture de l’Epître aux Romains. Dans le prolongement de la Réforme, d’innombrables personnes ont ensuite pu éprouver la force éman- cipatrice de la Bible, mais aussi de l’éducation et des livres en général. Alors, pourquoi les textes autour desquels est assemblé le petit groupe de discussion réformé n’ont-ils pas le même effet libérateur? Peut-être parce que ce n’est pas dans la lecture commune que les meilleurs ouvrages livrent leurs secrets, mais, à l’instar de Luther, dans un tête-à-tête intime entre le lecteur et l’auteur? Peut-être faut- il aussi chercher la réponse dans l’espace entre le sous-sol renfermé de la maison de paroisse et le clocher orné du nuage du souffle: dans la simpli- cité de l’intérieur de l’église réformée. Tous les interlocuteurs interrogés s’accordent à louer la dignité de son dépouillement, sa sobriété discrète, témoignant d’une réticence envers toute forme de faste. Pour Johannes Stückelberger, professeur d’esthétique religieuse et ecclésiale à l’Université de Berne, une église réformée, dans son dénue- ment, est «la manifestation visuelle du message libérateur dans lequel la foi protestante trouve son fondement». Ici, l’individu peut simplement être Des caractères arabes qui voguent comme des navires sur la mer»: deuxième image du tableau d’ensemble imaginaire. «Buchstaben, die als Boote auf dem Meer schwimmen»: Bild zwei im imaginären Gruppenraum. ©Shahid Alam

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