ENSEMBLE Nr. / N° 28 - Mai 2018

13 ENSEMBLE 2018/28 —– Dossier Sollten wir im Allgemeinen also kritischer sein? Ich finde, man kann gar nicht kritisch genug sein. Bei gesellschaftlichen Fragen zum Beispiel halte ich das für sehr wichtig. Auch bei der Inter­ pretation eigener Gefühle lohnt es sich, denn so kommen oft erstaunliche Ergebnisse zutage. F Ira Kurthen est psychologue et doctorante à l’Université de Zurich. Que se passe-t-il dans notre cerveau avant que nous ne reconnais- sions que quelque chose est «vrai»? Explications. Interview de Daria Lehmann Comment la psychologie définit-elle la vérité? Disons qu’en règle générale, elle ne la définit tout simplement pas, puisque scientifiquement parlant la vérité est quelque chose de délicat. Certes, nous avons pour but de tirer des connais­ sances sur les faits à partir de nos expériences, mais il serait présomptueux de penser que nos conclusions sont 100% véridiques. La vérité, c’est aussi quelque chose qui ne doit pas être mis en doute: une telle affirmation constitue un obstacle pour la science. Donc, dans la science, la vérité en soi n’existe pas. Mais pour les êtres humains, elle existe bel et bien. Comment en arrive-t-on à considérer quelque chosecomme vrai? Les théories actuelles sur le cerveau partent du principe qu’il existe une interaction constante entre deux sortes d’information: d’un côté, les or­ ganes sensoriels envoient en continu des signaux sur le monde extérieur. De l’autre côté, nous avons déjà des connaissances et des idées antérieures qui seront elles aussi relayées quasi immédiate­ ment par les organes sensoriels. Ce mouvement est tellement usuel que nous ne nous en rendons même plus compte. Nous le remarquons unique­ ment en cas de discordance entre l’information provenant de nos sens et notre connaissance pré­ alable. Le processus est très semblable lorsqu’il s’agit d’informations abstraites. Cela veut donc dire que souvent nous ne décidons absolument pas consciemment si nous croyons quelque chose ou pas. Pourquoi? Tout simplement pour des raisons d’efficacité: les décisions conscientes prennent du temps et de l’énergie, c’est pourquoi seule une fraction de toutes les décisions sont prises consciemment. Comment se fait-il dès lors que des personnes dif- férentes prennent des décisions différentes? Parce que notre connaissance préalable dirige nos décisions et que celle-ci diffère énormément d’un individu à l’autre, engendrant des prises de décisions divergentes. Nos décisions peuvent-elles aussi être influencées par l’extérieur? Oui. Parmi les facteurs les plus frappants, il faut citer «l’effet d’ancrage»: nos décisions sont influencées par les informations déjà connues. L’expérience suivante l’a bien montré: des juges doivent établir la longueur d’une peine de déten­ tion, mais auparavant, la procureur jette un dé sous leurs yeux, suggérant ainsi la durée de la peine en mois. Que se passe-t-il? Les juges sont influencés par le dé alors même qu’ils ont très bien vu que le chiffre était le pur fruit du hasard. En gros, nous nous laissons facilement manipuler? Si une chose nous semble plausible de prime abord ou si nous n’avons pas le temps de nous en occuper plus en détail, oui. L’effet de masse compte aussi, ce qu’illustre bien une autre expérience au cours de laquelle les sujets ont dû observer deux lignes puis dire laquelle des deux était la plus longue. Or, des «intrus» membres de l’équipe scien­ tifique se sont glissés parmi les «vrais sujets» et ils ont systématiquement choisi avec beaucoup de conviction la fausse ligne. Résultat? Non seule­ ment les «vrais sujets» ont plus souvent choisi la fausse ligne, mais en plus ils ont commencé à dou­ ter sérieusement de leur propre perception. Devrions-nous donc tous être systématiquement plus critiques? On n’est jamais assez critique! Pour toutes les questions de société, par exemple, je pense que c’est très important. Mais il vaut aussi la peine d’examiner à la loupe nos sentiments: les conclu­ sions sont souvent surprenantes! ©Foto Ganz Ira Kurthen

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