ENSEMBLE Nr. / N° 28 - Mai 2018

7 ENSEMBLE 2018/28 —– Dossier La vérité est indubitablement un bien précieux devant un tribunal. En français, on parle d’ailleurs de verdict pour désigner le «jugement rendu par une autorité»: le terme, emprunté à l’anglais, vient du latin veredictum, composé lui-même de verus, «vrai, véritable, réel», et de dictum, «parole, mot, sentence, précepte». Cependant, chacun sait natu­ rellement que les poursuites judiciaires permettent dans le meilleur des cas de nous mettre sur la piste de la vérité. Aussi pervers que cela nous semble: la vérité sans la menace de la force – extorsion ou torture – est une statue aux pieds d’argile. En toute conscience La vérité apparaît indispensable dans des contextes plutôt simples. Prenons l’exemple suivant: une personne demande à une autre le chemin de la gare; la réponse sera vraie dès lors qu’elle permet­ tra à la personne d’arriver à bon port. Selon la définition de Thomas d’Aquin, «veritas est adae­ quatio intellectus in rei» – la vérité est l’adéqua­ tion de la pensée et des faits – c’est-à-dire, pour reprendre notre exemple, l’adéquation de la des­ cription de l’itinéraire et de l’itinéraire effectif jusqu’à la gare. Bien sûr, la personne interrogée peut se tromper: mais ce qui détermine la véracité de l’énoncé, c’est qu’il a été formulé en toute conscience. Pour autant, dès lors que la vérité peut blesser, elle devient négociable. Le médecin dissimule le diagnostic véritable au patient car il considère que le stress provoqué par la nouvelle vaut moins bien que la préservation de la vérité. Le conseil de pa­ roisse tait la vérité afin de protéger les réfugiés du renvoi. Aux yeux des parents, le bien-être de l’en­ fant prime sur la vérité au sujet de ses origines. Quant à l’Etat, il subordonne le devoir de vérité à ses intérêts politiques, au devoir de protection et de préservation. Le monde veut qu’on lui mente La sagesse populaire veut qu’on ne croit pas un menteur, même quand il dit la vérité («Credere ne creditur mendaci, dicenti quidem verum», Phèdre, Le Loup et le Renard). En soi, cette affirmation est déjà un mensonge. En effet, en réalité, le monde veut qu’on lui mente. Nous préférons croire les informations fausses sur les gaz à effet de serre pour pouvoir continuer sans remords à circuler dans nos grosses voitures de luxe. Les initiatives politiques jouent sur des peurs qu’elles ont en fait elles-mêmes engendrées et attisées dans la popu­ lation. Nous croyons aveuglément la recherche scientifique parce que notre regard critique nous désécuriserait nous-mêmes. Le pouvoir, le succès, le confort, le désintérêt et la bêtise sont les sources vives de la contre-vé­ rité, du mensonge et de la tromperie. Certes, le journalisme d’investigation, les wikileaks ou les lanceurs d’alerte sont très à la mode, et l’indigna­ tion au sujet du grand propagateur de fake news Donald Trump est de bon ton. Mais cet engoue­ La vérité n’existe pas sans men ­ songe – pas d’objet réel sans ombre. Wahrheit existiert nicht ohne Lüge – keine reales Objekt ohne sein Schattenbild. ©Keystone /Allpix Press /Gael Colliguet

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