ENSEMBLE Nr. / N° 36 - März / Mars 2019

10 Dossier —– ENSEMBLE 2019/36 « NOUS AIDER À PENSER L’ÉVANGILE» INTERVIEW KARL BARTH « UNS HELFEN, DAS EVANGELIUM ZU DENKEN» INTERVIEW KARL BARTH Géant de la théologie chrétienne, le Bâlois Karl Barth a secoué les esprits de son époque, allant jusqu’à susciter l’opposition. Cinquante ans après sa mort, il est plus que jamais lu et étudié de par le monde. L’éclairage du pro- fesseur de théologie Christophe Chalamet. Par Nathalie Ogi Quelle est l’importance de Karl Barth à vos yeux? Avec plus de 30 000 pages imprimées et autant de pages non éditées, dont les 10 000 pages de sa «Dogmatique», le Bâlois (1886–1968) est un véri­ table géant de la théologie chrétienne. Le pape Paul VI a dit de lui qu’il était le plus grand théologien depuis Thomas d’Aquin. Aujourd’hui encore, il peut nous aider à penser l’Evangile. Tout au long de sa vie, sa démarche a été de se deman­ der ce qu’est l’Evangile. Pour lui, ce n’est pas une idée, ce n’est pas une pensée. C’est une personne: le Christ, Jésus de Nazareth. Une de ses spécificités est de tout relier à la figure du Christ. Il se de­ mande d’ailleurs si le Christ ne serait pas l’homme véritable, l’être humain dans son authenticité. Pour lui, le Christ est le cœur, il éclaire tous les champs de la réalité humaine avec toutes les ques­ tions urgentes qui l’occupent. Quelle a été son influence pour la théologie fran- cophone et la Suisse romande? Entre 1909 et 1911, Karl Barth a été pasteur au­ xiliaire de la paroisse de langue allemande de Genève. Plus tard, il a suscité beaucoup d’opposi­ tions en Suisse romande, alors très marquée par le libéralisme théologique du 19 e siècle. Des théo­ logiens comme le Genevois Auguste Lemaître ne voulaient pas de cette théologie doctrinale. Dans les années 30, Barth défend ainsi la doctrine de la naissance virginale de Jésus, ce qui reste en travers de la gorge des libéraux. Le Bâlois prônait aussi un retour à Calvin et à Luther et voyait l’homme comme un pêcheur, une vision perçue comme trop pessimiste par les libéraux. Pourtant, le théologien a aussi critiqué Calvin sur sa théorie de la double prédestination (à savoir l’idée que Dieu élit cer­ tains et réprouve d’autres, et ce de toute éternité). Mais dès les années 30, un clash a lieu et (presque) toute une génération s’éprend de Barth. La plupart de mes professeurs aux Universités de Genève ou de Lausanne ont été des barthiens, au moins à un moment donné. Comment considérait-il la théologie? Barth défendait la théologie dialectique, qui est une pensée en mouvement, alors que les barthiens sont devenus par la suite très rigides. Au contraire, sa théologie tenait compte des am­ bivalences, de la relation entre l’homme et Dieu, entre la vie et la mort, le bien et le mal. Il a tou­ jours repris les choses à partir du commencement. Pour lui, le théologien ne peut pas vivre sur ses acquis, mais doit se remettre en question chaque matin. Cela donne une théologie très vivante, une pensée qui essaye d’être adéquate à son thème, à son objet. Pour lui, la théologie est une parole sur Dieu, alors que les théologiens du 19 e siècle par­ laient davantage de la religion. Karl Barth aimait beaucoup le retable d’Isenheim. Pour lui, le doigt «Pour lui, le Christ est le cœur, il éclaire tous les champs de la réalité humaine avec toutes les questions urgentes qui l’occupent.»

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