ENSEMBLE Nr. / N° 36 - März / Mars 2019

11 ENSEMBLE 2019/36 —– Dossier de Jean-Baptiste qui pointe vers le Crucifié est l’il­ lustration parfaite de ce que doit tenter de faire la théologie, mais aussi l’Eglise. Il était contre l’au­ to-référentialité de l’Eglise. Aujourd’hui, le pape François dit la même chose. Actuellement qu’est-ce qui intéresse encore les théologiens chez Karl Barth? Depuis les années 90, un flot ininterrompu de thèses consacrées au théologien paraît régulière­ ment dans le monde entier et en particulier dans le monde anglophone. Elles sont consacrées à sa vision de l’Eglise, de l’être humain ou du Christ, sa manière d’interpréter l’Ecriture (soit une inter­ prétation théologique et pas simplement histori­ co-critique), mais également à sa vision de Dieu, à sa méthode dialectique. Son rapport à l’œcumé­ nisme, à l’orthodoxie ou à la théologie trinitaire, qui a vu une résurgence depuis les années 80, suscite également l’intérêt des théologiens. Il existe actuellement plusieurs grands centres d’études consacrés à Karl Barth, notamment au séminaire théologique de Princeton aux Etats- Unis, aux Universités d’Aberdeen ou encore de St-Andrews en Ecosse. Comment voyait-il les rapports entre l’homme et la femme? Sa vision était celle de la subordination de la femme à l’homme. A mon sens, cette interpréta­ tion littérale de la Bible est un échec de sa pensée. Il est décédé en 68, à peu près au moment de l’émergence du mouvement féministe. Dans sa vie privée, il a pourtant vécu une relation triangulaire très compliquée et très pénible; marié à Nelly, il est tombé amoureux de Charlotte von Kirschbaum, qui est devenue son assistante et qui a cohabité avec le couple jusque dans les années 1960. En fait, Karl Barth n’avait pas une vision très conservatrice de certaines questions comme le mariage, l’Etat ou encore la nation. Quelles positions prendrait-il aujourd’hui sur le plan politique et social? Politiquement, Karl Barth a toujours été très engagé à gauche. Durant ses années de pastorat à Safenwil, entre 1911 et 1921, il s’est engagé très nettement du côté des travailleurs de cette petite ville industrielle argovienne. Il rejoint d’ailleurs le parti socialiste et s’engage dans le christianisme social dont il se distanciera plus tard lorsqu’il reviendra à la dogmatique. Il pensait aussi que l’Eglise devait retrouver d’abord une certaine clar­ té sur les questions de fond et ne pas s’éparpiller dans l’action sociale (qu’il soutenait par ailleurs). Dans les années 30, il s’est positionné face au nazisme, mais d’abord sur les questions de poli­ tique ecclésiale. Il n’attaque pas frontalement Hitler, ce qui lui a été reproché par la suite. De nos jours, je pense qu’il serait contre l’érection de murs où qu’ils soient. Il serait affolé de voir des pasteurs protestants américains dire qu’il y aura des murs au paradis. Il dirait certainement aussi que l’Europe ne peut pas devenir une forteresse qui érige des murs autour de son périmètre et laisse les gens se noyer en Méditerranée. Il serait égale­ ment effaré par les inégalités salariales entre les grands patrons et le reste de la population mondiale. Quel soutien Karl Barth peut-il représenter aujour­ d’hui pour l’Eglise protestante? De nos jours, on peut être paniqué par l’effon­ drement de l’Eglise, au point de concentrer toute notre attention sur cela. Karl Barth nous aide en nous disant que ce n’est pas de nous que dépend l’Eglise et qu’une Eglise qui se concentre sur sa survie est déjà morte. A ses yeux, l’Eglise n’a de sens que si elle est au service de l’Evangile. Il ne propose pas de solution magique, mais nous met en garde face à l’obsession, la paralysie face à la Christophe Chalamet ©Nathalie Ogi

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