ENSEMBLE Nr. / N° 37 - April / Avril 2019

13 ENSEMBLE 2019/37 —– Dossier Ancienne colonie allemande, placée sous administration française et britannique jusqu’à son indépendance, le Cameroun est en proie depuis deux ans à une véritable guerre civile dans ses régions anglophones. L’Eglise ne peut pas fermer les yeux. Par Jean-Blaise Kenmogne* Le Cameroun est aujourd’hui une république bi­ lingue, constituée de huit régions francophones et de deux anglophones. Depuis bientôt deux ans, de simples revendications corporatistes d’avocats et d’enseignants dans les régions anglophones se sont muées en véritable guerre civile. Les popula­ tions civiles, les factions sécessionnistes ainsi que les forces de l’ordre paient un lourd tribut: des centaines de morts, des milliers de blessés, des dizaines de milliers de déplacés internes et ré­ fugiés. Or, dans un contexte où la religion garde une influence prépondérante sur la conscience collective, les Eglises ne peuvent rester inactives devant la radicalisation des parties en présence. Le cardinal Tumi, archevêque émérite de Douala, reconnu pour ses prises de position en faveur de la justice et de la paix, est monté au créneau, sou­ tenu par des personnalités religieuses des zones en conflit, pour proposer ses bons auspices sous la forme d’une «All Anglophone General Confe­ rence». Initialement prévue avant l’élection prési­ dentielle du 7 octobre 2018, elle fut interdite par les autorités qui soupçonnaient le prélat de pour­ suivre un agenda caché, celui d’influencer néga­ tivement la réélection de Paul Biya, 86 ans, et au pouvoir depuis 36 ans. Après les élections, le Cardinal revint à la charge, mais en vain. Frustrations profondes Mais au Cameroun les efforts de paix des Eglises ne se heurtent pas seulement aux interdictions du régime. Les contradictions internes rendent éga­ lement leur message difficile à percevoir. Alors que dans sa sortie médiatique postélectorale le 24  octobre 2018, le président de la Conférence épis­ copale et archevêque de Douala mit en doute la crédibilité et la transparence des résultats, l’arche­ vêque de Yaoundé, martela, sentencieux: «Je pense qu’avec la décision du Conseil constitutionnel, tout débat cesse.» Du côté protestant, la seule réaction fut celle du secrétaire général de la Confé­ rence des Eglises protestantes, pour qui, les élec­ tions se sont déroulées dans la transparence. Le 28 du même mois, à la sortie de la messe de la Cathédrale de Yaoundé, 18 manifestants furent arrêtés par des hommes de mains, appelés d’ur­ gence par l’archevêque de Yaoundé. L’opinion se demande dès lors si ce prélat n’avait pas, lui aussi, un agenda caché, celui de soutenir le pouvoir en place. Du coup, le discrédit est jeté sur la parole et les actes de ces hauts dignitaires de l’Eglise et, de proche en proche, sur ceux des prélats dont certains travaillent pour le maintien du statu quo alors que d’autres s’engagent pour sa transforma­ tion. Au sein des Eglises, les frustrations sont pro­ fondes et les blessures ne sont pas prêtes de se refermer. Pourtant, l’Eglise ne peut pas fermer les yeux sur des atrocités subies par des populations aux mains nues, sans se renier dans ses fonde­ ments. Elle doit au contraire penser son rôle et sa position dans la gestion et la transformation de cette crise. En tout état de cause, entre les lustres du pouvoir et la tentation de l’opposition, l’Eglise doit s’engager pour la justice et la paix. C’est là le seul agenda caché qui vaille. C A M E R O U N L’Eglise doit s’engager pour la paix Jean-Blaise Kenmogne * Pasteur, directeur général du CIPCRE (Cercle International pour la Promotion de la Création) et recteur de l’Université évangélique du Cameroun © Reto Gmünder

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