ENSEMBLE Nr. / N° 46 - März / Mars 2020

14 Dossier —– ENSEMBLE 2020/46 du vécu, des expériences et des découvertes faites au contact des autres êtres humains et en se confrontant au monde, le regard rétrospectif que nous portons sur notre vie joue un rôle important. Ce regard concerne le Soi de manière fondamen­ tale: dans quelle mesure un individu est-il de nou­ veau conscient, lors de cette «quête des traces», des aspects de son Soi qu’il juge à ce moment de manière positive ou négative? Dans quelle mesure l’individu parvient, malgré un jugement négatif, à accepter sa propre histoire faite de hauts et de bas, et qui dans sa personnalité même fut cohé­ rente, sensée et nécessaire? Dans quelle mesure l’individu peut-il se pardonner lui-même et par­ donner les autres? Et finalement, notre durée de vie limitée déclenche les processus d’«introversion et introspection»: on peut aussi parler d’effets «Me­ mento Mori», c’est-à-dire l’impact que la proximi­ té avec la mort a sur le Soi. Les points centraux sont une vision du monde plus large et ce faisant un élargissement de l’éventail des thèmes impor­ tants sur le plan personnel, ainsi qu’une concep­ tion de la vie plus sereine, accompagnée par une intensification d’émotions comme la colère, la tristesse liée au deuil, les regrets et la joie. La spi­ ritualité, l’altruisme et la gratitude prennent en outre davantage de place dans le vécu. Et que voulez-vous dire avec «ouverture»? L’ouverture de l’individu pour de nouvelles impressions, expériences et découvertes favorise une confrontation avec lui-même plus attentive et approfondie. L’ouverture signifie que les nou­ velles sphères de vie aussi sont emplies émotion­ nellement et spirituellement. En ce qui concerne la vieillesse, j’accorde beaucoup d’importance au renoncement des processus physiques et à la sensibilité envers les processus psychiques et spirituels. Le renoncement à son propre Moi, jusqu’à l’environnement matériel et immatériel de ce Moi, est aussi important: l’attention au monde naturel, culturel et social, au cosmos, à la Création dans son ensemble. Cela signifie cepen­ dant que l’individu est ouvert à de nouvelles expériences, connaissances et découvertes. Et quelles sont à contrario les formes de construc- tion du monde? On peut décrire la «construction du monde» avec les notions de «soutien» et de «partage des connaissances». Le terme «soutien» décrit la «coresponsabilité» vécue et pratiquée en faveur des autres. Et le besoin, qui l’accompagne, de faire quelque chose pour les autres, de soutenir leur développement et leur qualité de vie. De plus, le terme ne recouvre pas seulement le soutien pra­ tiqué par une personne et qui émane d’elle, mais aussi le soutien d’autrui dont on bénéficie. Dans le cadre de relations d’entraide durant la vieillesse, il faut souligner à quel point le fait d’offrir et ac­ cepter une aide est important pour l’acceptabilité du soutien. Lorsqu’on ne peut pas retourner la faveur, il est difficile d’accepter ce soutien. Cet aspect est particulièrement important lors des phases de fragilité accrue. C’est justement dans ces moments que les gens y sont sensibles: sont-ils considérés et traités principalement comme des récipiendaires de l’aide? Ou leur capacité d’appor­ ter eux-mêmes aide et soutien est-elle aussi prise au sérieux? Et qu’entendez-vous par «partage des connais­ sances»? Le «partage des connaissances» évoque la continuité de l’individu au sein des générations futures. Cette continuité se fait au moyen de pro­ ductions matérielles et immatérielles, que l’indi­ vidu génère, et qui apportent une contribution au maintien et au développement continu du monde. Autant une personne survit dans le souvenir par une parole ou un geste unique, autant les ren­ contres avec elle continuent d’agir en nous sur les plans émotionnel et spirituel, autant il importe également de garder à l’esprit les productions ma­ térielles et immatérielles qui ne sont pas néces­ sairement basées sur des rencontres directes avec les générations futures, mais qui résultent d’une responsabilité envers et pour le monde. A partir de 85 ans, les êtres humains sont davan- tage sensibles. Comment l’environnement social peut-il faire face à cette fragilité? ©Universität Heidelberg – KuM Andreas Kruse «Le processus de vieillisse- ment ne doit pas être réduit au vieillissement physique.»

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