ENSEMBLE Nr. / N° 48 - Mai / Mai 2020

16 Dossier —– ENSEMBLE 2020/48 Michel Egger, sociologue et écothéologien, responsable du Laboratoire de transition intérieure au sein de Pain pour le prochain, explique à ENSEMBLE comment le soin peut redonner à l’économie sa vocation originelle. Par Reto Gmünder Pourquoi un recentrage de notre compréhension de l’économie est-il important? Etymologiquement, l’économie est la «gestion» (nomos) de la «maison» (oikos), la Terre qui nous porte et nous nourrit. La «gestion» implique le respect des lois du vivant. L’économie devrait donc permettre de répondre aux besoins essentiels de tous les êtres, humains ou non, en respectant les limites de la biosphère. Or, elle fait au contraire prévaloir la compétition sur la coopération et la quête du profit sur le bien commun. Avec sa dé­ mesure, le système actuel conduit à une perver­ sion du sens de l’économie. Il induit des modes de penser et des comportements incompatibles avec le respect de la nature, des droits humains et des générations futures. L’accent sur le soin permet de redonner à l’économie sa vocation originelle. Avec une attention particulière aux souffrances des plus vulnérables. Pensez-vous que ce souci concerne d’abord les femmes et les pays industrialisés? L’éthique du care a une dimension féministe. Elle conteste les valeurs patriarcales et les logiques de pouvoir qui animent l’économie dominante. Elle n’appartient pas aux femmes en particulier, ni aux hommes. Comme le dit Pascale d’Erm, au­ teure de Sœurs en écologie, c’est un «enjeu du genre humain, qui suppose de dépasser la ques­ tion du genre pour aller vers la transformation démocratique, émancipatrice pour les femmes et les hommes». Le soin peut être en cela une puis­ sante source de résistance au système et de rési­ lience aux effondrements en cours et à venir, dans les pays du Nord comme dans ceux du Sud. En quoi un tel recentrage nécessite-il une «transi- tion intérieure»? La notion de soin renvoie à deux registres de sens. D’un côté, des activités et pratiques dans les domaines sociaux et économiques. De l’autre, des dispositions affectives et des ressorts vitaux de l’être. Ici, le soin est la capacité à tisser des rela­ tions, à éprouver de la compassion, à se soucier de l’autre et à assumer sa responsabilité. Pour être vécu en profondeur, le soin est indissociable d’un «recentrage» intérieur, d’une ouverture du cœur, d’un changement de regard et de valeurs. Comment opérer une transition intérieure qui nous conduise à une économie du soin? Il s’agit de transiter de sources secondaires vers des sources primaires de satisfaction de notre dé­ sir, qui est l’un des moteurs de l’économie: moins d’avoir et de biens, plus d’être et de liens de qua­ lité – avec les autres, la nature et ce mystère qu’on peut appeler Dieu, le Souffle, l’Esprit. Cela de­ mande également de mobiliser nos émotions. Si regarder en face la gravité des problèmes sociaux, écologiques et climatiques est indispensable, cela peut générer des sentiments de tristesse, de peur, d’impuissance ou de découragement, qui ali­ mentent le repli sur soi et l’inertie. Il existe cepen­ dant des pratiques, que nous proposons dans les ateliers du Laboratoire de transition intérieure à Pain pour le prochain, qui permettent de «com­ poster» ces émotions pour en transformer l’éner­ gie, nourrir le désir de prendre soin et donc de s’engager pour la transition écologique et sociale. D I N N E R E R W A N D E L Die Fürsorge, eine Quelle der Kraft Der Soziologe und Ökotheologe Michel Egger, Leiter des Laboratoriums für innere Transition bei Brot für alle, über die Frage, wie die Wirt­ schaft über die Fürsorge wieder zu ihrer ur­ sprünglichen Bestimmung zurückfinden kann. Von Reto Gmünder Warum ist eine Neuausrichtung unseres Wirt- schaftsverständnisses wichtig? Etymologisch gesehen ist die Wirtschaft die «Verwaltung» (nomos) des «Hauses» (oikos), der Erde, die uns trägt und nährt. Dies impliziert Res­ pekt vor den Gesetzen des Lebens. Die Wirtschaft sollte daher die wesentlichen Bedürfnisse aller Wesen befriedigen und dabei die Grenzen der Bio­ sphäre respektieren. Jedoch zieht sie den Wett­ bewerb der Zusammenarbeit und das Streben nach Profit dem Gemeinwohl vor. Das derzeitige System mit seiner Masslosigkeit führt zu einer Perversion des Wirtschaftszwecks. Es führt zu Denk- und Ver­ T R A N S I T I O N I N T É R I E U R E Le soin, source de résilience

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