ENSEMBLE Nr. / N° 48 - Mai / Mai 2020

7 ENSEMBLE 2020/48 —– Dossier F Aujourd’hui, notre compréhension de l’éco­ nomie tourne surtout autour du marché. Pourtant, une économie au service de l’humain et de la nature va bien au-delà du marché. C’est ce que défend Jürg Minsch, partisan d’une éco­ nomie de la transformation, dans son dernier essai. Par Jürg Minsch* Dans La Grande Transformation, l’historien de l’économie Karl Polanyi s’interroge sur les causes de la première révolution industrielle et en iden­ tifie quatre, qui se renforcent mutuellement: le progrès scientifique débouchant sur des possibi­ lités techniques insoupçonnées, exploitées par un entrepreneuriat naissant voulant créer du profit, évolution que les marchés et les démocraties émergentes de l’époque accélérèrent et stabili­ sèrent. C’est toujours cette dynamique qui est à l’œuvre aujourd’hui. Dans le champ de force du marché Au centre de ce modèle de développement écono­ mique et social se trouve le marché. Pour le dire de manière imagée, de même que le champ de force d’un puissant corps céleste influence les or­ bites d’autres planètes, le marché déplace la signi­ fication de certains concepts clés de la société, réduisant le prisme de ces idées multidimension­ nelles à quelques fonctions restreintes: l’«humain» est réduit à sa fonction de force de travail et de consommateur; la «nature», quant à elle, est rabaissée au rang de simple ressource dans une logique d’exploitation univoque. Bien sûr qu’il existe aussi des tentatives pour retrouver un rapport juste à l’humain et à la nature. Cependant, face à la force de gravité exercée par le marché, les efforts déployés – politiques envi­ ronnementales et sociales, coopération au déve­ loppement et initiatives citoyennes – semblent couronnés d’un bien piètre succès. Qu’est-ce qui maintient la pensée et l’agir économiques sur orbite? Un troisième concept, celui de «valeur», fournit un éclairage intéressant. Une notion de valeur unidimensionnelle La question de la valeur eut son heure de gloire: les sciences économiques la plaçaient alors au centre et elle suscitait des débats enflammés. A l’heure de l’autorégulation du marché, elle ne se pose plus. Le concept complexe de «valeur» est assimilé à la notion de prix du marché et la pros­ périté de la société est réduite au produit national, de sorte que toutes les questions plus profondes relatives au sens et à la valeur d’un produit ou de la croissance économique sont totalement délégi­ timées. Il semblerait par exemple tout à fait in­ convenant de se demander, au sujet du réel intérêt d’avoir produit tous les biens qui ont inondé le marché ces dernières années: Qu’ont-ils apporté à qui? Selon la conception dominante de l’économie, la création de valeur ne peut se produire que sur le marché. L’activité d’autres secteurs, telles que la coopération de proximité ou les prestations de services publics, n’est pas prise en compte, est considérée comme improductive, ou au contraire * Jürg Minsch est économiste et chargé d’enseignement en économie écologique à la Haute école des sciences appliquées de Zurich (ZHAW) Dans le champ de force du marché: le prix détermine la valeur. Im Kraftfeld des Marktes: Der Preis be- stimmt den Wert. ©Keystone /dapd /Steffi Loos

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