ENSEMBLE Nr. / N° 48 - Mai / Mai 2020

8 Dossier —– ENSEMBLE 2020/48 comme un dû – pensons au système juridique ou éducatif. C’est le marché, en tant que centre névralgique du développement économique et social, qui est perçu comme la source de la créa­ tion de valeur. Une doctrine désuète La notion de valeur unidimensionnelle détermine également la politique économique. Si le but consiste à faire prospérer l’économie en accrois­ sant le nombre de biens commercialisables, alors on mène une «politique des ressources centrales bon marché». Cette doctrine, née dans les années 1950, précisément au moment où le débat sur la valeur commençait à faiblir, reste d’actualité. Cependant, alors qu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, le but était de sortir d’une économie du manque et d’accomplir la promesse de prospé­ rité des temps modernes, cette doctrine promeut désormais une économie qui va à l’encontre des objectifs du développement durable. Le Fonds monétaire international (FMI), par exemple, estime à plus ou moins 1900 milliards de dollars le coût du soutien aux énergies fossiles en 2013 dans le monde, ce qui illustre la force politique d’accélération du changement climatique, les moyens mis en œuvre étant par ailleurs plusieurs fois supérieure aux engagements pris par l’OCDE en faveur de la coopération au développement. A cela s’ajoutent des restrictions à l’importation et des subventions à l’exportation efficaces, qui pèsent sur les possibilités de développement des pays du Sud. Karl Polanyi met en lien le fait de réduire la valeur au prix avec trois types d’«éloignements». Premièrement, on s’éloigne de l’être humain: l’ordre commercial mondial asymétrique conçu par le Nord restreint les possibilités de développe­ ment du Sud; au fond, c’est une manière de rela­ tiviser la notion de droits humains, dont nous nous faisons pourtant volontiers les défenseurs. Ce n’est pas surprenant que l’économie de marché, et aussi la démocratie, perdent de leur éclat. Deuxième­ ment, on s’éloigne de la nature: la réduction arti­ ficielle du prix des ressources naturelles constitue en soi une forme de mépris. Le signal est le sui­ vant: prudence, rigueur, parcimonie, et utilisation intelligente des ressources ne sont pas de mise. Troisièmement, la focalisation sur le marché en tant que source unique de création de valeur éloigne du principe d’une société considérée comme système global de création de valeur. Renoncement et retour en arrière Cependant, le champ de force du marché n’est pas une constante naturelle. Le marché peut être conçu comme une «manifestation sociale». L’éco­ nomie doit se poser une nouvelle fois la question de la valeur et se demander en quoi elle peut contribuer à une économie «civilisée», qui ne se concentre pas en premier sur le marché, mais­ sur l’humain et sur une vie en harmonie avec la nature. Pour aller dans ce sens, il faut passer par la réintégration de la responsabilité et de l’imputa­ bilité, qui furent toutes deux un jour des piliers de l’économie de marché et qui sont tombées dans l’oubli avec la globalisation du monde des marchandises et de la finance. Renoncer à la politique des ressources cen­ trales bon marché constitue un premier pas en direction d’un système fonctionnel, c’est-à-dire d’un système au sein duquel les prix reflètent au mieux la rareté au niveau écologique et social. Une telle politique est compa­ rable à un pilote puissant allant dans la fausse direc­ tion écologique et sociale: pendant de nombreuses dé­ cennies, on a suivi cette voie presque sans s’en rendre compte, comme on aurait assaisonné l’économie d’une «épice», sous forme de sub­ ventions ou d’exonérations fiscales dans les différents ©Hugh Han /Unsplash Auf engstem Raum zusammen- gepfercht – und doch völlig isoliert. Was macht ein gutes Leben aus? Entassés dans de petits espaces – et pourtant com- plètement isolés. Qu’est-ce qui rend la vie belle?

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