ENSEMBLE Nr. / N° 53 - November / Novembre 2020

23 ENSEMBLE 2020/53 —– Fokus n’est pas ce paradis tant rêvé. On ne dit pas qu’il y a ici une sorte de crise permanente, de nom­ breuses personnes endettées, un mal-être presque généralisé, un délitement social, etc. Mon agenda pastoral me permet de rencontrer toutes sortes de gens et certains vivent une sorte de détresse, une fatigue inhérente au mode de vie. Mais il existe ici un tel habillage de la misère qui laisse penser que tout va bien. Que faudrait-il faire? Je pense qu’il faudrait qu’une impulsion soit donnée au niveau mondial pour davantage de justice. Certains pays africains regorgent en effet de ressources. Mais on est complaisant vis-à-vis de certains de leurs dirigeants à la solde de l’ultra-­ libéralisme triomphant qui génère un tel niveau de corruption au sommet des Etats. Les jeunes partent et laissent paradoxalement derrière eux les terres aux multinationales qui en deviennent propriétaires. L’Afrique doit absolument prêter attention à sa jeunesse qui subit un contexte global responsable de cette expatriation abjecte que nous observons. On dirait parfois que l’Afrique est contre sa jeunesse. Comment est perçue la migration en Occident? Il y a une perception exagérée des migrations. On pense que tous les Africains, jeunes ou moins jeunes, veulent venir ici. Le mouvement migratoire fait peur. Les gens ont la phobie de l’invasion. En réalité très peu d’Africains parviennent ici. Seule une petite minorité débarque en Europe. La majo­ rité décède en chemin. On ignore que le Sahara est jonché de squelettes de migrants. On ne sait pas non plus que des Camerounais arrivés on ne sait comment en Amérique du Sud, tentent au péril de leur vie de traverser la forêt amazonienne pour rejoindre les Etats-Unis. Et la migration profite da­ vantage aux pays d’accueil occidentaux qu’à l’Afrique qui est confrontée à une fuite de ses cer­ veaux. Par ailleurs, on parle très peu des migrations interafricaines. Elles ont lieu sur tout le continent, d’est en ouest, du centre ou de l’est vers le sud. Les frontières sont très poreuses. Ces mouvements, très denses, ont toujours existé et sont plus importants que la migration qui a lieu vers l’Europe. C’est ce que vous démontrer dans votre dernier livre? «Il nous faut articuler une certaine utopie de l’humain.» J’ai essayé de montrer que la mobilité est constitutive de l’être humain. L’homme est essen­ tiellement errant. Il nous faut articuler une cer­ taine utopie de l’humain. Par exemple, l’on en profiterait en mettant en place des mesures plus justes qui permettraient de se déplacer facilement. Certains Européens peuvent se rendre en Afrique quand ils le veulent. Alors qu’une fois ici de nom­ breux migrants ne peuvent plus rentrer chez eux. C’est furieusement asymétrique. Et il n’est pas cer­ tain que si l’on était moins strict au niveau des frontières, tous les Africains resteraient. On ne quitte pas son pays aussi facilement. Je suis parti il y a 20 ans. Il est difficile d’abandonner cet héri­ tage, de quitter son socle. On ne se rend pas compte ici du mal-être que vivent certains Afri­ cains. Il faut toujours y légitimer sa raison d’être. La pression est parfois insupportable. Ceci, de nombreux Africains, ou ceux d’autres horizons, qui souhaitent venir en Occident l’ignorent tota­ lement. Le pasteur neu- châtelois Zachée Betche est aussi auteur et confé- rencier. Der Neuenburger Pfarrer Zachée Betche ist auch Autor und Dozent. ©Nathalie Ogi

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