ENSEMBLE Nr. / N° 55 - Januar / Janvier 2021

13 ENSEMBLE 2021/55 —– Dossier ne devrait pas laisser l’équilibre social au bon vou­ loir de quelques riches. Les dons s’apparentent parfois à un alibi et à une aumône. Ce dont nous avons besoin, c’est d’un échange juste et de rela­ tions commerciales plus équitables à l’échelle mondiale. Les pays pauvres reçoivent de moins en moins d’argent pour leurs matières et biens primaires, ce qui affecte leur condition de vie et pousse des gens à l’exil. On assimile souvent bon salaire ou richesse à performance. En même temps, beaucoup de gens fournissent une importante contribution à la so- ciété sous forme de travail non rémunéré. Et la crise du coronavirus a montré que ces emplois non payés étaient indispensables. Tout travail devrait- il être pareillement rémunéré? Selon moi, oui. Le travail est le travail. Et une heure est une heure. On croit qu’on doit donner aux gens des incitations financières pour qu’ils fassent des efforts. Cependant, le salaire ne devrait pas avant tout dépendre du type de travail ou de la prestation. Si possible, les gens devraient faire ce qu’ils aiment faire. L’orientation vers l’argent les éloigne de leurs motivations intrinsèques, qui peuvent être extrêmement créatives et efficaces. Aujourd’hui, le marché est censé déterminer la valeur du travail, mais souvent celle-ci est fixée arbitrairement et n’a guère de rapport avec la pres­ tation. Bien des gens travaillent beaucoup et gagnent peu. Et quelques-uns travaillent peu et gagnent beaucoup. La concurrence forcée nuit à la solidarité. Nous devons trouver un équilibre entre argent et travail. Et d’abord augmenter les bas salaires. Faut-il dissocier au moins en partie travail et re- venu pour garantir le minimum vital, par exemple avec un revenu de base inconditionnel? Notre garantie du minimum vital est unilaté­ ralement basée sur le revenu. Ce qui est dange­ reux. La numérisation peut entraîner une nouvelle poussée de rationalisation. Dissocier en partie l’activité professionnelle et le revenu, p. ex. en étendant les prestations complémentaires de l’AVS et de l’AI à tous les ménages dont le revenu ne suffit pas à assurer la subsistance, paraîtrait donc logique. Cela serait facile à réaliser et ne nous coû­ terait que quelques pourcents du produit intérieur brut. Et le revenu de base? Ses détracteurs disent qu’au bout du compte, les effets seraient nuls sur le plan financier. Les débats sur le revenu de base sont très im­ portants à mes yeux, car ils mettent au centre la question du sens du travail et de la vie. Nous sommes très concentrés sur le travail rémunéré. Or en Suisse, neuf milliards d’heures de travail non payées sont accomplies chaque année et four­ nissent aussi une importante contribution à la société. Donc l’idée d’un revenu de base incondi­ tionnel me séduit, mais me pose aussi des ques­ tions. Notamment sur le financement. Il est envi­ sagé, entre autres, d’augmenter la taxe sur la valeur ajoutée. Or dans ce cas l’effet de redistribu­ tion serait bien moindre qu’avec des impôts pro­ gressifs. Le montant du revenu de base joue aussi un rôle déterminant. Il ne doit pas entrer en conflit avec les assurances sociales et doit garantir le minimum vital. S’agissant des effets nuls, je n’en suis pas sûr. Quels effets une dissociation partielle du travail et du revenu aurait-elle sur la société, le mode de vie individuel et le travail? Elle apporterait un soutien et plus de sécurité aux gens, qui ne devraient plus avoir à tout prix du succès dans tout ce qu’ils font. Cela libérerait des énergies créatives, favoriserait la cohabitation sociale et renforcerait les processus démocra­ tiques. Pensez-vous que nous parviendrons un jour à surmonter les inégalités sociales? Je suis plutôt confiant, bien que l’espoir de nos parents en une vie un jour plus facile pour les gé­ nérations futures se soit évanoui. Il est probable que l’inégalité sociale s’aggravera ces prochaines années. Mais même si notre société est dirigée par l’économie, de très nombreuses personnes ont une fibre sociale. Et le large consensus sur la protection particulière de certains groupes de la population pendant la pandémie n’allait pas de soi. Notre ca­ pacité à surmonter l’inégalité sociale dépend beaucoup de la volonté des gens à s’engager pour plus de justice sociale. Les humains sont capables d’apprendre, les systèmes aussi. © Keystone /Urs Flüeler Indispensable, mais toujours sous-payé: en octobre 2020, le personnel soignant manifeste dans toute la Suisse pour de meilleures conditions de travail. Unverzichtbar, aber dennoch unterbezahlt: Pflegeangestellte demonstrieren im Oktober 2020 schweiz- weit für bessere Arbeitsbedingungen.

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