ENSEMBLE Nr. / N° 56 - März / Mars 2021

14 Doss i er —– ENSEMBLE 2021 /56 chaleur que Monika Wälti et d’autres bénévoles tentent de transmettre aux requérants du centre de retour cantonal voisin. Deux heures de ren­ contre par semaine, pour leur donner «une tranche de normalité et de légèreté», selon les mots du pasteur Marcel Schneiter. Pour les requérants déboutés, qui vivent dans un ancien foyer pour enfants non loin de la maison paroissiale, ces deux heures sont un bol d’oxygène. Avant la fermeture provoquée par le coronavirus, une trentaine de personnes fréquentaient chaque semaine la maison paroissiale, tentant ainsi d’échapper à l’étroitesse de leur cantonnement. Une mère raconte sa vie avec ses trois enfants, dont deux ados, dans une petite chambre. «Deux lits superposés, une table – rien d’autre.» Au Sri Lanka, son mari a disparu et son frère a été tué. Poussée par la peur, elle a fui en Suisse; mais sa demande d’asile a été rejetée. Elle est désespérée à l’idée de ce qui pourrait advenir de ses enfants. «Mon aînée termine la neuvième année scolaire l’an prochain. Et ensuite? Elle n’a pas le droit de faire un apprentissage.» La petite femme relate d’une voix étouffée sa situation sans issue. Cul-de-sac L’histoire de cette famille illustre bien celle de centaines de destins identiques. Parmi les 6000 personnes dont la demande d’asile a été rejetée en Suisse et qui touchent l’aide d’urgence, on compte 600 enfants. Une trentaine d’entre eux vivent dans le centre de retour d’Aarwangen. Pour qui se préoccupe de cette thématique, impossible de ne pas penser à un cul-de-sac: parmi ces gens, nombreux sont ceux qui ne peuvent ou ne veulent rentrer chez eux, et qui n’ont pas de statut légal de résidence en Suisse. L’exemple de Sathiya et Paul montre à quel point cette voie sans issue est démoralisante. Ils vivent depuis déjà dix ans en Suisse avec leurs trois enfants. Les deux plus jeunes sont nés à Berne et parlent bernois. En regardant ses enfants se dé­ fouler, Sathiya, la mère, raconte: «Le pire, ce sont les questions de mon fils. Il nous demande sans cesse pourquoi il est dans cette situation. Il veut savoir pourquoi il doit partir au Sri Lanka, alors que la Suisse est son pays.» Le garçon de dix ans relève brièvement les yeux de son jeu. A la ques­ tion de savoir ce qu’il préfère à l’école, il répond sans hésiter: «La pause.» Une bénévole lui amène régulièrement des livres. Avec un budget qui se monte à un quart du minimum vital fixé par la Conférence suisse des institutions d’action sociale, la famille ne peut quasiment rien s’offrir. Afin de soulager quelque peu le maigre budget des bénéficiaires de l’aide d’urgence, la paroisse d’Aarwangen leur distribue des bons pour la bro­ cante. Et un ordinateur est à leur disposition lors des heures de rencontre. Les bénévoles les sou­ tiennent en cas de besoin pour les questions administratives et pratiquent l’allemand avec eux. L’Eglise, une intermédiaire Le pasteur Marcel Schneiter se voit avant tout comme un intermédiaire, entre les habitants du centre de retour et la population, entre la direction du centre et les bénévoles au regard critique. «C’est justement grâce à notre positionnement neutre, en tant qu’Eglise, que nous pouvons contribuer à une compréhension mutuelle.» Dans d’autres lieux abritant les centres de re­ tour du canton de Berne, l’Eglise s’engage de la même manière qu’à Aarwangen. Mais en raison du coronavirus, les activités ont été suspendues. C’est très douloureux pour les résidents des centres de retour, relate Marcel Schneiter. «Déjà que la saison hivernale leur pèse, ils perdent aussi maintenant la possibilité de se rencontrer en dehors de leur logement. Le risque existe qu’ils se replient sur eux- mêmes et que nous les perdions de vue.» L’accompagnement spirituel est une autre ma­ nière de soutenir les requérants déboutés dans leur difficile situation. L’an passé, les trois Eglises nationales et la communauté judaïque de Berne ont financé de concert un poste d’accompagnant spirituel. «Cette forme d’accompagnement est particulièrement précieuse», souligne Marcel Schneiter. C’est seulement ainsi que l’on peut tisser des liens avec les gens dans les centres. Actuelle­ ment, on recherche une solution pour assurer le financement à long terme de cette offre d’accom­ pagnement spirituel. Des privés tendent la main «La base, c’est toujours la relation», explique le pasteur Daniel Winkler. La même idée revient tou­ jours. Le pasteur de Riggisberg fait toutefois allu­ sion à une autre forme d’engagement de longue durée: l’hébergement chez des privés. Au sein de la population, certaines personnes offrent aux re­ quérants déboutés un espace privé pour se loger. Il y a un an, des groupements issus de l’Eglise et de la société civile ont mis sur pied cette solution, de concert avec les autorités. «Lorsqu’on accompagne quelqu’un à longueur d’année, et que cette personne reçoit soudaine­ ment une décision d’asile négative, c’est très dur», Lors des heures de ren­ contre, les requérants déboutés retrouvent une tranche de normalité et de légèreté.

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