ENSEMBLE Nr. / N° 56 - März / Mars 2021

16 Doss i er —– ENSEMBLE 2021 /56 Pour le couple irako-marocain arrivé il y a presque cinq ans en Suisse, où leurs deux filles sont nées, les horizons se sont bouchés. Ayant vu leur demande d’asile refusée, la famille vit depuis plusieurs mois dans le centre de re- tour Boujean à Bienne, sa survie réduite à l’aide d’urgence: un toit collectif et 6 francs 50 par jour par personne. Récit de leur parcours. Par Maria Vila Au début, Naima et Ali, c’est une histoire d’amour sans frontières. Ils font connaissance sur internet. Elle, marocaine de classe moyenne, travaille comme esthéticienne dans son pays. Lui, irakien, ancien officier de police, est réfugié en Turquie. Elle fait un premier voyage pour le rencontrer et leur relation se confirme, malgré l’opposition de sa famille. «D’abord, mes parents ont refusé. Ils pensaient qu’il venait d’un pays étranger pas bien, qui fait la guerre. Ils avaient peur. J’ai laissé tomber, mais mon père, me voyant très triste, m’a dit que j’étais assez grande pour choisir ma vie», explique Naima. Le cauchemar administratif En 2015, elle repart en Turquie avec l’intention de rentrer chez elle avec Ali, une fois ses papiers en règle. Mais leurs démarches s’avérant infruc­ tueuses, même s’ils sont désormais mariés, ils dé­ cident de partir pour l’Europe, d’aller en Suisse romande, où Ali a de la famille et où ils espèrent obtenir les documents qui leur permettront de s’installer au Maroc. Après avoir traversé sept pays, ils arrivent en train en Suisse et, à la frontière, se font contrôler et arrêter par la police. Ils déposent une demande d’asile et c’est pour eux le commencement du long périple des requérants, un cheminement incertain illuminé par la naissance de leurs deux filles, Maria et Lilia, et l’espoir de leur donner un avenir riche en possibilités. Toutefois, en septembre 2019 leur procédure échoue. Raison invoquée: elle est marocaine et peut rentrer dans son pays. Sans son mari. Ris­ quant d’être expulsés et séparés, Naima s’adresse à l’ambassade marocaine pour demander un visa pour Ali et c’est le début d’un nouvel imbroglio administratif, les autorités marocaines et suisses se renvoyant la balle. Leurs exigences respectives sont incompatibles et il y a toujours des papiers qui manquent. «Je leur ai dit que je n’y peux rien, qu’il y a la loi d’un pays et de l’autre, et que ce n’est pas moi qui les ai créés», s’insurge-t-elle. «Ce qui est clair, c’est que je ne veux pas séparer mes filles de leur père. Elles ont besoin de lui.» Détresse et précarité Entretemps, la famille passe sous le régime de l’aide d’urgence. Elle doit quitter son appartement et depuis février 2020 réside au centre de retour Boujean à Bienne, avec environ 130 autres per­ sonnes déboutées, reparties dans six containers habitables, avec des cuisines et des salles de bain communes, dans des conditions précaires, deve­ nues «catastrophiques avec le coronavirus», ex­ plique Naima. Ils reçoivent 182 francs par semaine. «Ici, chaque jour, c’est la même chose, il n’y a pas de structure. Il n’y a rien à faire, à part t’occuper des enfants, que tu dois toujours surveiller pour qu’il ne leur arrive rien avec tout ce monde en difficulté. Tu ne peux même pas parler à ton ma­ ri dans l’intimité. Notre vie se passe dans l’attente et dans le stress», explique-t-elle. Leur espoir? Que le Maroc donne un visa à Ali ou que la Suisse au­ torise leur séjour pour cas de rigueur. «Nous avons besoin de stabilité, de travailler. Ceci n’est pas une vie et nous n’en avons qu’une!» P O R T R A I T Le rêve d’une vie normale ©Maria Vila Naima et Ali avec leur fille Lilia. Naima und Ali mit ihrer Tochter Lilia.

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