ENSEMBLE Nr. / N° 59 - Juni / Juin 2021

18 Doss i er —– ENSEMBLE 2021 /59 La démence touche de plus en plus de personnes en Suisse. Vivre avec un proche atteint de démence représente un impor- tant défi. Témoignages. Par Nathalie Ogi «Arnaud* a d’abord commencé à ne plus distin­ guer les visages des personnages dans les films, ce qui le rendait furieux. Un jour, il n’a plus recon­ nu un ami», explique Emma* qui a accompagné durant 12 ans son compagnon, atteint à 64 ans d’une variante rare de la maladie d’Alzheimer. Affectant d’abord la vision, cette pathologie per­ met de maintenir des capacités cognitives sur une longue durée. Très attachée à son partenaire, cette ancienne chercheuse en biologie a tenté de pallier ses défaillances visuelles. Elle a trouvé des astuces afin qu’il puisse continuer à écrire des chroniques pour un journal. «Je lui ai trouvé un clavier de couleur claire, puis je lui ai installé de grandes lettres autocollantes.» A la retraite, Arnaud a main­ tenu cette activité professionnelle pendant deux ans, avant que le journal ne supprime la chro­ nique. Pour occuper son compagnon, Emma a téléchargé des émissions culturelles, organisé des repas avec des amis, l’a accompagné pour des pro­ menades. «Au début, nous allions encore en mon­ tagne. Il avait un sens de l’orientation exception­ nel. Il était capable de reconnaître les sommets alpins sur différents plans. Petit à petit, il a perdu cette faculté. Cela a été spécialement douloureux pour nous.» Mais Emma n’a pas baissé les bras. «L’avantage c’est qu’il ne devenait pas agressif, comme d’autres malades atteints de démence.» En se voyant diminués, certains hommes se montrent en effet parfois autoritaires et impa­ tients avec leur femme. «Je n’ai pas connu cela. Nous étions vraiment amis, avec une grande com­ plicité.» Puis est venu le moment où elle n’a plus pu le laisser seul, sa mémoire à court terme se montrant défaillante. Arnaud a laissé un robinet ouvert provoquant une petite inondation. En cui­ sine, il oubliait d’éteindre les plaques. Il a fallu le surveiller en permanence, lui préparer ses vête­ ments, l’aider à faire sa toilette. A la longue, sont apparus les problèmes d’aphasie et les difficultés à parler. Une ergothérapeute a posé des étiquettes sur les placards, les tiroirs et les étagères de l’ap­ partement lausannois. Dégradation Emma s’est résolue à emmener Arnaud une fois par semaine dans un centre d’accueil diurne. Le temps de souffler quelques heures. Elle s’est aussi rendue aux réunions mensuelles d’un groupe d’en­ traide. «Par la suite, il est devenu incontinent et je devais l’accompagner aux toilettes. Je lui ai acheté des protections.» Malgré cela, Emma n’a jamais éprouvé de ressentiment. «J’ai assisté à cette dégradation. La perte de la capacité d’écri­ ture. Il a commencé à dormir beaucoup, est deve­ nu apathique. Cela me faisait de la peine.» En 2019, Arnaud a été placé dans un EMS psycho-géria­ trique, contre la volonté de sa compagne. Une année auparavant, elle avait été frappée par un infarctus et le personnel médical a jugé la charge trop lourde pour elle. Une phase difficile pour ce couple qui a vécu une quarantaine d’années en­ semble. Aujourd’hui, la septuagénaire rend visite à son compagnon deux à trois fois par semaine. Il ne parle plus, mais reconnaît toujours son amou­ reuse, probablement à sa voix, à défaut de la voir. «Il est toujours gentil et on me dit que mes visites lui font du bien.» En 2020, il a survécu au corona­ virus, alors que plus de la moitié des résidents du home y ont succombé. Récemment, Emma a ras­ semblé des chroniques linguistiques écrites par son compagnon. Elle vient de recevoir une réponse UNE SOLITUDE À DEUX VIVRE AVEC UN PROCHE ATTEINT DE DÉMENCE GEMEINSAM EINSAM WENN ANGEHÖRIGE AN DEMENZ ERKRANKEN * Noms connus de la rédaction

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