10 Doss i er —– ENSEMBLE 2021 /63 La pasteure fribourgeoise Bettina Beer a traversé la dépression. Elle a mis en mots cette épreuve et publié «Un océan de tristesse». Un témoignage poignant sur une maladie qui reste souvent encore taboue dans la société et parfois également dans l’Eglise. Par Nathalie Ogi Qu’est-ce qui vous a poussée à publier le récit de votre dépression? Lorsque la maladie s’est déclarée, je me suis mise à tenir un journal intime de manière assez intensive. Mais je n’avais pas l’intention de publier. L’idée est venue petit à petit. J’ai observé les diverses réactions de mon entourage face à la maladie. Ce n’est pas facile, c’est encore une forme de tabou. Souvent les gens ne savent pas quoi faire. J’ai expérimenté cela chez des personnes de mon entourage, par ailleurs capables de soutenir quelqu’un souffrant d’une maladie physique. Mon souhait était de donner accès à ce que vit une personne souffrant de dépression, afin que cette maladie soit moins effrayante et pour montrer que l’on peut s’en sortir. Vous parlez de la dépression comme d’une maladie de l’âme, c’est ainsi que vous la comprenez? Pour moi la dépression est une vraie maladie. On peut tenter de l’enrayer avec des médicaments, une prise en charge médicale, une psychothérapie. La voir ainsi aide aussi à lever le tabou, la stigmatisation souvent liés aux maladies psychiques. Certes, c’est une pathologie plus difficile à appréhender par l’entourage, car aucun IRM ni analyse sanguine ne peuvent prouver son existence comme dans le cas d’une tumeur. On sait aussi qu’une composante chimique, neurologique joue un rôle. C’est plus qu’une maladie de l’âme. Certaines personnes ont des symptômes physiologiques. Pour moi, ce qui était le plus douloureux touchait clairement à l’âme, au cœur. C’est une souffrance intérieure très forte. Avez-vous osé parler de vos souffrances à votre entourage, vos collègues? Autour de moi, un cercle de personnes assez restreint a été mis au courant assez rapidement, dont mon mari, des proches et ma cheffe directe au sein de l’Eglise évangélique réformée de Suisse (EERS). J’ai eu beaucoup de chance et rencontré beaucoup d’ouverture et de soutien. Cela a été plus difficile d’évoquer la question avec mes parents et mes enfants. Vous êtes pasteure, en quoi votre foi vous a-t-elle aidée dans cette épreuve? Je dirais que la foi a été une aide parmi d’autres. Ce n’est pas elle qui m’a sauvée. J’aurais bien voulu que cela soit le cas. Du moment qu’il s’agit d’une maladie, la foi peut être un soutien, tout comme les textes bibliques. Lorsque les pensées suicidaires sont devenues très fortes, j’ai découvert que ma foi était plutôt un accélérateur qu’une protection. Je crois que la mort ne va pas me couper de Dieu. Face à des tendances suicidaires, ne pas avoir peur de la mort est une barrière en moins. Vous n’hésitez pas à évoquer vos pensées suicidaires. Je n’ai pas eu peur d’en parler. On pense que si l’on demande à quelqu’un qui va mal s’il a envie de mourir, on va le pousser à l’acte. Mais ce n’est pas le cas. Au contraire, en parler, poser la question, permet de désamorcer la pensée et la poussée vers la mort. Mais c’est tellement difficile à entendre. C’est pourtant une réalité. La plupart des gens qui se suicident ou qui font une tentative de suicide souffrent d’une maladie psychique. Il suffit souvent d’être là et d’écouter. Evidemment si quelqu’un est vraiment dans une crise psychique grave, il faut chercher une aide médicale. Etes-vous définitivement guérie? On est considéré comme guéri si l’on a plus de symptômes depuis six mois. Ce n’est pas mon cas. Mais je ne prends plus de médicaments, je travaille, je suis active. J’ai connu un deuxième épisode dépressif l’hiver passé, moins long, moins lourd. J’espère que cette maladie va disparaître. Ou peut-être aurai-je toujours des creux, des pensées suicidaires, des états émotionnels très forts. Mais globalement, je vais nettement mieux. La dépression a-t-elle apporté des changements pour vous? Oui, il y a eu des changements dans ma vie, notamment professionnels. Je me suis engagée en politique (ndlr: chez les VERT·E·S Fribourg). Je suis aussi devenue moins facile à vivre. Trop longtemps, je n’ai pas assez tenu compte de mes besoins, ce qui a été un des éléments déclencheurs de la maladie. Je me demande davantage à qui et B E T T I N A B E E R Une pasteure raconte la dépression
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