ENSEMBLE Nr. / N° 65 - Mai / Mai 2022

23 ENSEMBLE 2022 /65 —– Fokus Comment as-tu vécu le fait d’entendre tous ces récits? J’ai trouvé violent d’entendre tout ce qu’il faut endurer pour entrer en Europe. Je me sentais pris dans un tourbillon d’émotions. Un garçon de 17 ans m’a particulièrement touché, je n’oublierai jamais son histoire: clavicule brisée en se faisant violemment refouler, pas de médecin pour être soigné, et maintenant une épaule complètement tordue. On comprend aisément que ces gens n’attendent que de s’en aller. Comment les aider? Sur place, les offres sont toutes utiles et bienvenues. Néanmoins, tout le système, les camps et les structures d’aide, sont assez démunis. Les migrantes et les migrants essayent de franchir la frontière, ils se font maltraiter, ils reviennent, les bénévoles les remettent sur pied, leur redonnent ce dont ils ont besoin, et ils retentent leur chance. C’est une histoire sans fin. Et il n’existe sans doute qu’une seule solution: changer notre politique migratoire. C’est-à-dire, concrètement? Je n’arrive absolument pas à comprendre pourquoi une famille qui a fui la guerre en Afghanistan ne peut pas prétendre exactement à la même protection qu’une famille qui arrive d’Ukraine. La Bosnie se trouve au cœur de l’Europe, mais nous protégeons la soi-disant vraie Europe des pays du Sud en érigeant une frontière artificielle. Pour moi, une chose est claire: les refoulements violents contraires aux droits humains doivent impérativement cesser aux frontières extérieures de l’UE. Il faut des couloirs humanitaires sécurisés, et il en faut vers tous les pays européens. Par ailleurs, nous devons veiller à ce que l’attention internationale ne se concentre pas uniquement sur l’Ukraine. L’été qui approche sera synonyme de nouvelles arrivées massives en Bosnie pour passer la frontière croate: il faut trouver des solutions. Quel est le rôle de la Suisse dans toute cette situation? La Suisse profite largement de la protection de ses frontières. Qui plus est, elle finance en partie ce repli, certes pas en subventionnant directement la police croate, mais en finançant Frontex, l’agence européenne de surveillance des frontières. Toute cette infrastructure est nécessaire ici parce qu’en Suisse et en Europe, nous ne voulons pas changer de politique migratoire. Un tel laisser-faire frôle l’aberration. Je suis littéralement incapable de comprendre que de telles sommes soient allouées pour protéger nos frontières, et donc pour fabriquer un nouveau problème qu’il faut ensuite résoudre à coups de nouvelles dépenses. * Collaboratrice service Migration Hébergement de fortune dans une usine abandonnée. Notdürftige Unterkunft in einer verlassenen Fabrik. © Christian Walti

RkJQdWJsaXNoZXIy Mjc3MzQ=