8 Doss i er —– ENSEMBLE 2022 /67 Dans quels cas un Etat peut-il recourir à la violence? D.B.: Les Pères de l’Eglise ont déjà retourné les questions de la guerre juste et de l’usage légitime de la violence. Saint Ambroise se demandait si quelqu’un qui ne s’oppose pas à l’injustice à l’encontre de son prochain, n’en devient pas en partie responsable. Puis son élève Saint Augustin a développé la «doctrine de la guerre juste», que Thomas d’Aquin a systématisée, et qui avait pour but d’introduire des règles pour limiter la guerre et de réduire l’injustice en cas de conflit. La guerre juste y est définie selon six critères: être déclarée par une autorité suprême, viser une cause juste, avoir une intention droite, recourir à des moyens proportionnels, constituer la dernière voie de recours, servir la paix. Quelles sont les implications pour la guerre en Ukraine? D.B.: L’agression de la Russie constitue clairement une violation du droit international. La Charte de l’ONU établit qu’il n’existe aucun droit à la guerre, que les conflits doivent être résolus de manière pacifique. L’armée ukrainienne n’a pas eu d’autre choix que de se défendre. La Charte de l’ONU définit également la défense face à une agression comme un motif légitime de guerre. Il s’agit du droit légitime à l’autodéfense jusqu’à ce que la communauté internationale agisse pour mettre fin au conflit. Existe-t-il donc des guerres justes? D.B.: Pour moi, aucune guerre n’est juste, ou sainte. Les guerres sont toujours de l’ordre du mal et elles expriment l’échec des efforts de paix de l’humanité. Aujourd’hui, le recours à la violence militaire doit être exclusivement réservé à (ré)instaurer la paix juste qui, selon la représentation de Dieter Senghaas, repose sur six éléments: monopole étatique de la violence, culture de la gestion de conflit constructive et pacifique, justice sociale minimale, Etat de droit, participation politique et reconnaissance des interdépendances, donc réglementation des relations entre les Etats conforme au droit international. C.S.: Une guerre ne sera jamais juste, la guerre en Ukraine pas plus que les autres. Selon Dietrich Bonhoeffer on ne peut dans certains cas pas distinguer clairement le bien et le mal, le noir et le blanc, mais seulement des nuances de gris. Nous devons parfois prendre nos décisions dans la pénombre morale, ce qui signifie que nous ne pouvons pas éviter d’endosser une part de culpabilité par amour de notre prochain. Je crois que personne ne ressortira tout blanc de la guerre en Ukraine; au final, nous serons tous coupables, quel qu’ait été notre comportement. L’exemple des livraisons d’armes le montre. Comment les Eglises doivent-elles réagir sur ce point? C.S.: Ce n’est pas aux Eglises de livrer des armes. En même temps, la question pose un dilemme à l’éthique théologique de la paix. Si nos pays livrent des armes, nous devenons coupables, car ces armes servent à tuer; mais si nous nous y refusons et que nous voyons un peuple se faire massacrer sous nos yeux sans rien entreprendre, nous nous rendons aussi coupables. L’éthique chrétienne de la paix doit évoquer cette tension sans essayer de la cacher ou de l’enjoliver. Dietrich Bonhoeffer écrit: «Agir de manière responsable, c’est devenir coupable.» Que doivent faire les Eglises face à la guerre en Ukraine? C.S.: Dans sa prise de position, la commission éthique de la CEPE (Communion des Eglises protestantes en Europe) dont je fais partie, a proposé trois types d’action. En tant qu’Eglises, (1) nous prions (1 Th 5,17): nous exprimons ainsi notre tristesse et nous témoignons de la force et de la pro- © Adrian Hauser Dieter Baumann: «Il est important de documenter déjà durant le conflit les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis par tous les belligérants.» Dieter Baumann: «Es ist wichtig, dass schon während eines Krieges die Kriegsverbrechen und Verbrechen gegen die Menschlichkeit aller Kriegsparteien dokumentiert werden.»
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