13 ENSEMBLE 2023/71 —– Dossier Que conseillez-vous aux victimes de violences? Nous les encourageons à se tourner vers des antennes spécialisées, c’est-à-dire vers un centre d’aide aux victimes. En cas de menaces graves, il faut immédiatement contacter la police et les foyers d’urgence. Les victimes doivent-elles commencer par prendre conscience de leur situation? Oui, les violences domestiques s’inscrivent souvent dans un processus insidieux. Il est fréquent que l’agresseur insinue que la victime est ellemême coupable. L’auteur des violences est souvent très proche de sa victime et s’excuse après un débordement. Par ailleurs, le contexte implique peut-être des responsabilités liées à une maison ou à des enfants. Dans la spirale de la violence, la victime n’est plus toujours tout à fait consciente que quelque chose ne tourne pas rond et qu’elle a droit à une vie à l’abri de la violence. Il est important que les victimes sachent que les torts ne sont jamais partagés, qu’elles ne sont pas responsables de la violence qu’elles ont subie, quel que soit le type d’agression. Est-il fréquent qu’une victime endosse la responsabilité? Oui, cela se produit lorsque l’agresseur est une personne dont la victime est très proche, voire dont elle dépend. Par exemple, un rapport de dépendance peut s’instaurer si votre chef vous maltraite et que vous ne pouvez pas vous permettre de perdre votre emploi. Ou, dans un parcours migratoire, si votre permis de séjour est lié au statut de votre mari: en cas de divorce, vous risquez de devoir quitter la Suisse. La loi prévoit bien une règle pour les cas de rigueur, mais sa formulation est très floue: pour décréter un cas de rigueur, la violence doit avoir revêtu une «certaine intensité». Comment interpréter cette disposition? Faut-il en déduire que la violence «à faible dose» est acceptable? Comment définir précisément les violences psychiques? Elles peuvent prendre la forme d’insultes, d’injures, d’un contrôle constant, de surveillance, de stalking, ou encore de gaslighting: l’agresseur minimise une situation et décrédibilise ainsi l’appréciation personnelle de sa victime. L’acte de violence est bien réel, mais en même temps, celui qui agit en parle comme si rien n’était en train de se produire. Dans un tel scénario, la victime a encore plus de mal à solliciter de l’aide parce qu’elle doute de son propre jugement. Les violences psychiques sont souvent invisibles de l’extérieur, même si elles sont lourdes de conséquences pour les victimes. Que peut faire une femme qui y est confrontée? Toujours commencer par s’adresser à un centre d’aide aux victimes. Il en existe dans tous les cantons. Souvent, il est possible de demander conseil par téléphone ou en ligne (chat). A Berne, AppELLE, la hotline des foyers d’accueil pour femmes, est joignable 24 heures sur 24. Que faire pour briser le cercle vicieux de la violence? Il faudrait travailler avec les victimes mais, surtout en cas de violences genrées, avec les auteurs de l’agression pour modifier leurs stéréotypes. Les violences sont dites genrées lorsque le genre et l’inégalité en raison du genre jouent un rôle dans la perpétration de la violence. En l’occurrence, nous nous concentrons sur les femmes, car dans la très grande majorité des cas, les agresseurs sont des hommes. Evidemment, les hommes subissent aussi des violences, mais notre campagne ne couvre pas ce sujet. Du point de vue statistique, les femmes sont clairement les plus touchées. Et la violence psychique, est-elle très fréquente? En Europe, plus de 40 % des femmes en sont victimes. Malheureusement, pour la Suisse, nous ne disposons pas de chiffres précis. Il faudrait absolument obtenir des financements pour mener les études nécessaires à l’établissement de ces chiffres. En effet, il est difficile de réaliser un travail de prévention sans chiffres fiables. Et les autorités, que devraient-elles faire de plus pour améliorer la situation? La convention d’Istanbul, entrée en vigueur en Suisse en 2018, a marqué une étape importante. Ce texte indique de manière très complète comment combattre les violences genrées; il évoque la prévention, l’aide, la protection, le travail auprès des agresseurs, les moyens financiers et les aspects juridiques. Lorsque la Suisse, qui est tenue de mettre en œuvre cette convention, aura pris toutes les mesures préconisées, nous serons sur la bonne voie. Cependant, le fédéralisme propre à la Suisse a ses faiblesses puisqu’il implique des différences de pratique entre les cantons. Ainsi, les mesures en faveur des victimes ou les modalités de soutien varient selon le lieu de résidence, ce qui ne devrait pas être le cas. Il faudrait tout faire pour que les centres d’accueil existent partout en nombre suffisant dans le pays et que les ressources financières nécessaires soient disponibles.
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