9 ENSEMBLE 2023/72 —– Dossier contenu parce qu’elle est une expérience des profondeurs. Il est tout à fait justifié et même incontournable de transmettre également les contenus – traditions religieuses, textes bibliques et doctrines de foi –, mais ce sont des condensés d’expériences religieuses antérieures, et non plus la chose elle-même. En effet, la religion concerne les êtres humains et leurs expériences fondatrices. Quel rôle jouent alors les traditions religieuses? Premièrement, elles donnent une identité religieuse, ce qui suffit à les rendre précieuses; les chrétiennes et les chrétiens ont une tradition spécifique, leur propre manière d’appréhender les questions existentielles. Deuxièmement, elles constituent un impressionnant réservoir d’interprétations qui aident à comprendre la vie. Ainsi, on ne devrait pas enseigner d’anciennes traditions, ou disons, pas seulement: on devrait aussi rendre les individus capables de suivre par eux-mêmes l’exemple de ces traditions. Quel est l’état de la situation? A-t-on beaucoup de retard à rattraper? Le retard n’est pas du tout irrattrapable parce que l’orientation vers le sujet est très bien reçue. Néanmoins, les catéchètes se bornent très souvent à «tenir compte» des expériences des élèves pendant les cours de religion; or, c’est insuffisant. On sait que l’on devrait mettre le sujet au cœur de l’action pédagogique, mais qui ose vraiment faire le pas? Il manque un «électrochoc», comme l’a dit un jour mon professeur Matthias Kroeger. Sommes-nous captifs de notre propre tradition? On peut le formuler ainsi. La religion est un phénomène éphémère qui doit sans cesse se renouveler et que les traditions et les doctrines de foi ne reflètent que très insuffisamment, ou parfois pas du tout. Comme nous l’avons dit, ces dernières sont des condensés d’expériences religieuses ou d’interprétations symboliques de la vie, mais ne sont pas la religion elle-même. On pourrait même aller jusqu’à dire que la pédagogie de la religion orientée vers le sujet a atteint son objectif lorsque les élèves qui rejettent la religion sont capables d’expliquer pourquoi. Cette affirmation est très provocante. Oui, mais pour justifier un rejet, il faut avoir compris. Or, on peut partir de l’idée qu’un rejet est extrêmement improbable de la part de quelqu’un qui a vraiment compris à quoi sert réellement la religion. Et à l’opposé, il y aurait l’acceptation motivée? Tout à fait. L’objectif d’un bon apprentissage religieux ne peut pas consister à connaître la tradition. Le but devrait être de permettre à la personne de mieux se comprendre, de comprendre sa propre religiosité. Si l’on prend vraiment l’éducation religieuse au sérieux, celle-ci n’a pour vocation que de permettre la formation d’individus religieux qui le sont devenus par eux-mêmes. L’orientation vers le sujet entend aider les êtres humains à se comprendre eux-mêmes comme religieux ou au moins à parvenir à un positionnement religieux. Que faudrait-il pour y arriver plus souvent? Un peu plus de courage et un rapport à sa propre religion un peu plus ludique. Ne pas se croire obligé de cautionner n’importe quelle doctrine religieuse. La religion a malheureusement une très forte tendance au conservatisme, ce qui se comprend puisque ce n’est pas un domaine à prendre à la légère. Pour le dire un peu abruptement, nous devons nous éloigner de Paul, du péché, de la grâce, du salut et de la réflexion sur la loi, et nous rapprocher à nouveau de Jésus qui a porté un regard beaucoup plus élémentaire sur la religion et qui était d’ailleurs aussi extrêmement critique à l’égard de la religion, c’est-à-dire à l’égard des fixations religieuses. S’agit-il aussi de transmettre une autre image de Dieu? Oui, cela va de pair avec ce concept pédagogique. Si l’on part de l’image que les élèves ont de Dieu, on peut dire que ces images personnelles ont pratiquement disparu. Du reste, aujourd’hui, certaines théologies ne parlent plus de Dieu, mais du divin. Cette évolution est très intelligente, car elle revient à admettre que nous ne savons pas très précisément qui est Dieu. Et si l’on veut que les élèves se sentent concernés par la question de Dieu, on réussira nettement mieux à atteindre le but en procédant de manière légèrement détournée et en mettant en scène la religion comme je l’ai décrit avant. Faut-il aussi changer de didactique? Oui, mais ne laissons pas entendre faussement que chaque cours de religion doit tourner autour d’un sujet existentiel. Il faut plutôt concevoir des leçons exceptionnelles pour faire comprendre comment fonctionne la religion, qu’elle est indissociable de l’expérience personnelle. Une fois que les élèves ont compris, on peut tout à fait revenir aux contenus de la tradition religieuse. Un récit biblique peut donc être présenté comme contenu d’apprentissage, mais on devrait entrer en détail dans les expériences qui se cachent derrière le texte. Ainsi, les textes redeviennent parlants.
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