ENSEMBLE Nr. / N° 75 - September / Septembre 2024

13 ENSEMBLE 2024/75 —– Dossier à la conclusion qu’il ne s’agit ni de rêves, ni d’hallucinations, mais bien d’autre chose. Ces expériences provoquent souvent une grande détente chez les personnes qui les vivent. Je suis convaincu qu’elles sont d’un autre ordre que nos expériences quotidiennes, qu’elles sont en rapport avec le processus de mort et qu’elles nourrissent la confiance intérieure nécessaire pour parcourir la dernière étape du chemin. Les soins palliatifs sont un domaine hautement interdisciplinaire. Dans ce contexte, quel est le rôle de l’accompagnement spirituel? Notre accompagnement est orienté vers la dimension spirituelle. Nous cherchons à savoir ce à quoi l’être humain se relie tout au fond de lui. Une personne très religieuse sera reliée à la tradition chrétienne ou à Dieu. Une autre se sentira fortement reliée à la nature et aura peut-être un lieu de ressourcement particulier auquel elle pourra se connecter intérieurement. J’ai accompagné sur une longue période un monsieur qui se sentait très relié aux Young Boys; dans un premier temps, nous avons fait en sorte qu’il ait un grand écran digne de ce nom pour regarder les matches et avoir véritablement l’impression d’y assister. Puis nous avons appris qu’à l’époque où il allait au stade, il était toujours sur les gradins des supporters, que sa communauté se trouvait là, mais qu’il avait rompu les contacts avec ce groupe par honte et que le groupe ne l’avait plus contacté, par crainte de mal faire. Nous avons donc tenté de retisser un contact. Un jour, plus d’une vingtaine de fans des Young Boys se sont déplacés et ont chanté leurs chants de supporters sous les fenêtres de l’institution où se trouvait le monsieur que j’accompagnais. Le travail de l’aumônerie consiste à aider la personne à se (re) connecter avec ce qui la relie intérieurement et également à se tenir à ses côtés lorsqu’elle ne parvient pas à ressentir cette présence intérieure. Les aumônières et les aumôniers sont-ils bien acceptés au sein des équipes de soins palliatifs? L’accompagnement spirituel fait partie intégrante du modèle actuel de base des soins palliatifs qui est notamment inspiré du modèle de Cicely Saunders, une infirmière britannique, qui avait obtenu sur le tard un diplôme en administration publique et sociale, et qui insistait sur l’importance de constituer des équipes parce qu’un spécialiste à lui tout seul ne peut pas tout. Cette femme a largement contribué à implanter l’idée d’équipe. C’est elle qui a défini le concept de douleur globale («total pain») et les quatre dimensions des soins palliatifs – physique, psychique, sociale et spirituelle. C’est une manière de dire que la personne souffre dans tout son être et qu’elle n’ira pas mieux si l’on ne traite qu’une seule dimension de sa douleur. L’OMS et l’OFS ont intégré ces quatre dimensions dans leurs modèles. L’accompagnement spirituel fait donc intégralement partie des unités de soins palliatifs en Suisse. Est-ce qu’il vous arrive de croiser des personnes qui refusent l’accompagnement spirituel? Oui, évidemment, et cela a pu me frustrer quelquefois. Un jour, un superviseur m’a rappelé que les aumôniers étaient les seules personnes qu’un patient ou une patiente pouvait renvoyer et que ce geste de refus devait donc être compris comme un acte de liberté. Cette remarque m’a marqué. Le corps médical et le corps infirmier font partie du système. L’équipe d’aumônerie, elle, joue un rôle à part et peut être tenue à l’écart par la personne malade qui veut parfois simplement s’assurer que personne ne s’immiscera dans sa trajectoire personnelle. C’est une marque d’autonomie. Oui, exactement. Et justement, l’autonomie, c’est quelque chose que nous encourageons énormément dans notre accompagnement. Le processus est entre les mains de la personne, jamais entre les nôtres. Est-ce que les accompagnements de longue durée sont fréquents? Oui, car les soins palliatifs ne sont pas exclusivement destinés à la toute dernière tranche de vie. Ils commencent dès l’annonce du diagnostic d’une maladie incurable. Il peut arriver que des personnes soient malades pendant des années. Qu’est-ce qui est le plus facile pour les proches: d’avoir beaucoup de temps pour se préparer ou de savoir que la fin est imminente? Bonne question. Beaucoup répondraient probablement qu’un processus rapide est plus difficile à appréhender, qu’ils aimeraient avoir plus de temps pour accompagner la personne en fin de vie et pour lui dire au revoir en pleine conscience. Mais je connais aussi des situations où il est très difficile de prendre soin d’un proche pendant une très longue période à la maison en étant le témoin de sa souffrance. Quel rôle les bénévoles peuvent-ils jouer? À l’hôpital, les bénévoles peuvent répondre aux besoins sociaux de la personne en lui proposant une activité qui lui fasse plaisir. Lorsque la personne malade est chez elle, ils peuvent offrir une précieuse soupape aux proches aidants qui atteignent souvent leurs limites. Nous pourrions donner mille autres exemples. Disons tout simplement que sans bénévoles, il n’y aurait pas de soins palliatifs.

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