14 Fokus —– ENSEMBLE 2024/76 C’est indubitablement lié à la sécularisation et à la perte d’importance des Églises. Pour beaucoup, le pastorat n’est donc plus attrayant. En plus, les options de carrière sont limitées. Autrefois, le pasteur, l’instituteur, le médecin et le maire du village représentaient l’autorité. Aujourd’hui, la sociologie place les pasteures et les pasteurs parmi l’« élite déclassée ». Vous-même, comment avez-vous géré cette évolution ? Le titre de professeur donne un certain prestige (rires). Pendant les 14 années où je n’ai plus exercé le ministère, la situation a passablement changé, l’importance de l’Église n’a cessé de diminuer. En plus, le transfert de compétences en matière d’engagement du canton à l’Église a donné à beaucoup de collègues l’impression de déchoir. Mais force est de constater que le corps enseignant ou les blouses blanches ne jouissent plus non plus de leur prestige d’antan. Mais c’est tout de même dans le pastorat que l’évolution est la plus frappante. Comment inverser la tendance ? En nous concentrant davantage sur notre motivation intrinsèque, sur la mission de l’Église pour le dire en termes théologiques. Finalement, nous exerçons ce métier parce que Dieu veut que l’Évangile soit annoncé. C’est notre légitimation, quel que soit l’intérêt que la société y accorde. L’un de vos livres s’intitule La théologie au point zéro. Karl Barth et la crise de l’Église [en allemand]. Que nous apprend ce père du protestantisme du XXe siècle sur ce déclin ? Il y a plus d’un siècle, Barth voit déjà clairement que la position forte de l’Église dans la société repose sur des pieds d’argile. Il constate que la classe ouvrière s’éloigne de l’Église. Cet ancien pasteur devenu professeur de théologie reste assez imperturbable face à la sécularisation. Il a conscience qu’un christianisme sérieux ne peut être l’affaire que d’une minorité. J’ai appris à sa lecture à porter un regard généreux sur l’être humain. Tout le monde est accepté par Dieu qui ne s’arrête pas à notre conception de la foi. Avec cette vision, il est plus facile d’aller vers les autres. Les Églises nationales ont présenté au canton le bilan de leurs prestations d’intérêt général. En septembre, le Grand Conseil s’est dit impressionné par ce rapport et a décidé d’octroyer un financement pour ces six prochaines années. C’est une satisfaction pour les Églises nationales. Qu’en pensez-vous en tant que théologien ? Il est juste et important que la société et le monde politique prennent connaissance de ce rapport. Sans ce document, de nombreux membres du Grand Conseil ne sauraient pas tout ce que font les Églises. Toutefois, il n’est pas évident de séparer clairement ces prestations du domaine cultuel, car les deux facettes – culte dominical et activités du lundi au samedi – sont constitutives de l’Église. La confiance du grand public est intimement liée au noyau dur spirituel de l’Église. Une connaissance issue du monde de l’économie m’a justement dit qu’elle estimait que l’Église devait défendre des avis fondés théologiquement au sein de la sphère publique, qu’elle ne devait pas se limiter au social, ni devenir une ONG dont personne n’avait besoin. Je partage entièrement cet avis. Dans ce sens, je trouve tout à fait sensé que les objectifs de législature du Conseil synodal disent explicitement qu’il faut « évoquer Dieu ». Aujourd’hui, l’évidence tacite n’a plus rien d’évident. Beaucoup de gens, croyants ou non, attendent de l’Église qu’elle s’affiche clairement. Je sais que certains membres des partis bourgeois qui luttent pour le durcissement de la politique d’asile accueillent par ailleurs favorablement l’engagement des Églises en faveur de l’aide aux réfugiés, car pour eux, c’est la mission de l’Église que de tendre la main à celles et ceux qui souffrent. Aujourd’hui, l’œcuménisme est la norme. Les Églises ne risquent-elles pas d’y perdre une partie d’elles-mêmes ? Que veut dire être protestant ? Cette question, les réformés se la posent en permanence. Mais au fond, toutes les Églises se la posent. Jusqu’à quel point une Église doit-elle être identitaire et rester ouverte en tant qu’Église multitudiniste ? Comment approcher la population distancée et encourager les personnes engagées ? Ces tensions impliquent un mouvement de balancier permanent. L’œcuménisme est une précieuse conquête ; il fut un temps où protestants et catholiques ne voulaient rien avoir en commun. Toutefois, la situation a de nou- © Adrian Hauser Matthias Zeindler
RkJQdWJsaXNoZXIy Mjc3MzQ=