27 ENSEMBLE 2024/76 —– Fokus À l’intérieur, il fait chaud et les boiseries dégagent un certain charme alpin. Deux hommes d’une trentaine d’années originaires de Turquie ont accepté de raconter leur histoire. Celle-ci pèse visiblement sur leurs épaules. Il devient vite clair qu’ils ne sont pas en Suisse de leur plein gré. La décision de quitter leur patrie a été lourde à prendre. Tous deux y ont laissé leur famille avec de petits enfants. À présent, femmes et enfants sont très loin. Ils tiennent à garder l’anonymat, pour les protéger. « Notre gouvernement est une mafia, des espions peuvent être partout », s’accordent-ils à dire. En effet, depuis une tentative de putsch en 2016, le pays se trouve dans les faits en état d’urgence. Une nouvelle constitution est certes entrée en vigueur en 2018, mais avec les droits étendus accordés à l’exécutif et en particulier au président Erdogan, la situation n’a pas fondamentalement changé. Car celui-ci gouverne le pays d’une main de fer. Selon la statistique du célèbre magazine « The Economist », le pays glisse de plus en plus vers un régime autoritaire. Et la population civile critique envers le régime est la première à en souffrir. Une situation difficile à vivre C’est le cas des deux requérants qui attendent ici, au Gurnigelbad, pour une durée indéterminée. Tous deux disposaient d’une bonne formation et avaient des emplois privilégiés qu’ils ont perdus, car ils étaient soupçonnés d’être opposés au régime. Or dès que quelqu’un est inscrit sur « liste noire », il n’obtient officiellement plus de travail, les employeurs risquant eux aussi d’être mis sous pression. Malgré cela, les deux hommes sont parvenus à se débrouiller, travaillant en secret pour permettre à leurs familles de joindre les deux bouts. Jusqu’à ce que la pression devienne trop forte. Ils s’accordent à dire : « Ce n’est pas facile d’être réfugié. » Leur situation est en fait tout aussi difficile à vivre. Et cela après avoir payé pour leur fuite des milliers d’euros économisés pendant plusieurs années. Ils ont voyagé un mois entier avant d’arriver enfin en Suisse. Dans un pays qui ne les a pas accueillis à bras ouverts. Les deux ont beaucoup de peine avec l’interdiction de travailler. Le système les oblige à vivre de l’aide sociale en matière d’asile, inférieure à l’aide sociale pour titulaires du passeport suisse. Mais ils peuvent au moins faire du bénévolat. À défaut d’améliorer leurs maigres ressources, cela structure leur journée et, plus important encore, leur ouvre des contacts avec la population locale. Actuellement, ces activités bénévoles, p. ex. au Schlossgarten (foyer pour personnes handicapées) ou au Riggishof (EMS), sont suivies par l’hébergement collectif sur le plan administratif, et par le groupe de bénévoles « Gurnigelasyl » sur le plan opérationnel. « Gurnigelasyl » est issu de deux groupes de bénévoles existants, le « Riggi-Asyl », créé et dirigé de longue date dans son engagement en faveur des requérantes et requérants d’asile par le pasteur Daniel Winkler (paroisse de Riggisberg), et l’association « offenes Scherli », créée et dirigée depuis des années par Jürg Schneider. Les deux fondateurs sont les piliers et les inspirateurs de « Gurnigelasyl ». Marianne Windler coordonne les bénévoles qui s’occupent des personnes hébergées au Gurnigelbad. « J’évalue les conditions de vie des requérantes et requérants d’asile comme difficiles à éprouvantes », relève Marianne Windler. « Le fait de vivre en grand nombre, à l’étroit, presque en vase clos et loin de la civilisation complique énormément le mélange social et culturel ainsi que l’intégration », estime-t-elle. À cela s’ajoute le stress de la promiscuité dans les chambres-dortoirs, partagées par six à huit personnes. Dans une telle situation, il est d’autant plus important à ses yeux que parmi les résidentes et résidents du Gurnigelbad, celles et ceux qui font preuve d’une capacité de résilience, d’une empathie et d’une serviabilité « considérables » conseillent et soutiennent les nouveaux arrivants. Tourner une nouvelle page C’est certainement le cas des deux hommes de Turquie. Pour eux, hors de question de baisser les bras. Ils ont encore un projet de vie. Ils aimeraient trouver dès que possible un travail et s’intégrer, afin de faire venir leurs femmes et leurs enfants en Suisse. Ils apprennent assidument l’allemand, car ils se sont rendu compte que les capacités de communication peuvent servir de pont vers les personnes et la vie sociale. Ils jugent particulièrement utile l’engagement des enseignantes et enseignants bénévoles au Gurnigelbad et de « Deutsch integral » à Berne. Parallèlement à l’apprentissage de la langue, ils posent les premiers jalons vers une éventuelle activité professionnelle future. Après avoir perdu son emploi bien rémunéré pour des raisons politiques, l’un d’eux avait travaillé par moments comme moniteur d’auto-école en Turquie, et a passé récemment l’examen de conduite. L’autre était développeur de logiciels et souhaite poursuivre sur cette voie. Grâce à des dons de « Riggi-Asyl » et d’« offenes Scherli », il a pu se procurer un ordinateur portable en vue de faire plus tard un stage dans ce domaine. Et pour les deux, il est clair que le séjour ici ne peut être qu’un chapitre de plus dans leur vie : « Nous avons une responsabilité envers nos familles. Nous voulons tourner la page dès que possible. »
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