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ENSEMBLE 2015/4 —– Dossier
à l’eau potable pour des populations moins privi-
légiées?
La Suisse est choyée en termes d’eau, tout
comme mon pays, le Canada. Cette abondance
nous donne la responsabilité de prendre soin de
cette ressource et de nous engager si elle est me-
nacée ailleurs dans le monde. Nos gouvernements
et nos ONG doivent promouvoir et défendre ce
droit à l’eau dans le monde entier. Par exemple en
soutenant des infrastructures et des services pu-
blics dans des pays qui ont besoin d’aide. Il serait
fallacieux de favoriser la privatisation de l’eau à
l’étranger alors que nous profitons d’une eau du
service public chez nous.
L’initiative Blue Community (Communauté bleue)
existe depuis 2011. Elle milite pour l’eau comme
bien public et droit humain. Le Canada et le Brésil
hébergent plusieurs de ces communautés. En
Suisse, on en compte quatre: la Ville et l’Université
de Berne, la paroisse Saint Jean à Berne et le syn-
dicat des médias et de la communication Syndi-
com. Pourquoi l’engagement de ces communautés
est-il si important?
J’espère que le concept des Communautés
bleues va essaimer partout dans le monde et je
suis très heureuse que l’idée ait déjà pris en Suisse.
Ces initiatives nous permettent d’être pour
quelque chose, non pas toujours contre. Elles re-
présentent aussi une possibilité pour les commu-
nautés locales de déterminer leurs propres valeurs
concernant l’eau, à leur niveau très concret. Nous
avons une petite communauté au Canada, dans
la Baie géorgienne (dans les Grands Lacs, au nord-
ouest de Toronto ndlr.) où tout le monde a décidé
de renoncer à l’eau en bouteille: hôtels, restau-
rants, magasins ou écoles, plus une seule bouteille
d’eau n’est vendue dans un périmètre de plusieurs
kilomètres. Les gens là-bas se font beaucoup de
souci pour la pollution des Grands Lacs par les
microparticules de plastique. Nous devrions aussi
nous en faire.
Il y a peu, les Objectifs de développement durable
(ODD) ont pris le relais des objectifs du Millénaire.
Quelles sont vos attentes? Représentent-ils la
solution pour assurer un accès à l’eau potable pour
tous?
Nous nous sommes beaucoup battus pour que
le droit à l’eau et à l’assainissement soit intégré
aux nouveaux Objectifs de développement du-
rable, et nous l’avons obtenu. Cela ne veut pas dire
que tout va bien et que tout d’un coup, tout le
monde y aura accès. Mais par cet engagement, la
famille humaine déclare solennellement que plus
personne ne devrait voir son enfant mourir par
manque d’eau, ou parce qu’il n’a pas assez d’argent
pour se procurer de l’eau potable.
Une dernière question, plus personnelle: vous êtes
une militante de premier plan dans le domaine de
l’eau et disposez d’une longue expérience de ter-
rain. Votre lutte sans relâche en faveur de l’eau
comme bien public et comme droit fondamental
est remarquable, surtout dans un contexte de crois-
sance démographique, de pression grandissante
sur les ressources naturelles et des dommages à
l’environnement. Quelle est votre source à vous
pour cet engagement? Pensez-vous que vous verrez
un jour l’ensemble de l’humanité bénéficier d’un
accès à l’eau potable?
J’ignore si je connaîtrai le jour où tous les êtres
humains auront de l’eau potable et vivront dans
la dignité. Mais je suis convaincue de la vertu de
la plupart des gens et je crois profondément que
nous sommes capables d’aller ensemble vers un
avenir meilleur. Mon souci concerne plutôt la crise
écologique de l’eau: à cause de cette crise, il est
plus difficile de remplir notre promesse de procu-
rer de l’eau potable à l’ensemble de l’humanité.
Mais je pense avoir le devoir de lancer un mouve-
ment qui s’attaque à ces défis et qui s’engage pour
un «avenir bleu».
©Manu Friederich
Maude Barlow
à Berne.