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Dossier —– ENSEMBLE 2016/12
terprétatif et confessionnel que cela signifie: «Et
Abraham crut que c’était Dieu.»
Qui veut «transmettre» les histoires bibliques
doit avoir conscience qu’il ne suffit pas de répéter
les récits tels quels. Il faut donner des clés à l’au-
ditoire. Le véritable défi est d’ordre didactique.
Tout le reste – l’adaptation du langage au public
cible – ne relève «plus que» de la méthodologie,
de l’art, de la technique, du don pédagogique et
de l’intuition.
Déverrouiller les histoires
Du point de vue didactique, trois clés facilitent
l’accès aux histoires bibliques: explicitation du
point de vue narratif, maintien de la distance de
sécurité, invitation à la réflexion.
Tout d’abord, le point de vue narratif doit être
clair. Le texte biblique précède la narration; il est
déjà raconté (par une communauté narrative à
peine perceptible). Le narrateur ou la narratrice
se dissimule derrière une affirmation anonyme:
«Ce fut ainsi, je le sais.» Au moment de réitérer la
narration, il faut s’interroger: «Est-ce que je veux,
ou plutôt est-ce que je peux, reprendre ce récit
tel quel? Cela correspond-il à ma posture narra-
tive?» La réponse ne peut être qu’individuelle et
ne dispense pas de la réflexion sur les destina-
taires: «Vont-ils me croire? Que vont-ils en reti-
rer?» Précisément, que vont-ils retirer d’un récit
qui commencerait par: «Je sais…»? Eux qui sont
habitués à se faire leur propre idée, à décider par
eux-mêmes, en seraient réduits à choisir entre
croire et ne pas croire. C’est pourquoi il vaut
mieux adopter un point de vue plus prudent, par
exemple en se mettant dans la peau de l’un des
protagonistes ou de l’un des personnages secon-
daires. Un point de vue qui permet de raconter
les faits puis de proposer une interprétation sub-
jective: «Moi, je crois que ça vient de Dieu. Et toi?»
La narration stimule l’auditoire, lui fait vivre ce
que vivent les personnages et lui fait entendre
leur interprétation. Elle devient alors invitation
à la réflexion et à la formation d’un jugement
personnel.
Ensuite, le présavoir narratif doit être explicité.
Un présavoir acquis par l’analyse du texte et le
questionnement exégétique: «De quel type de
texte s’agit-il? D’où parle le récit (situation ini-
tiale)? Dans quelle intention a-t-il été raconté?
Quelle est sa pertinence et quelle peut être sa por-
tée aujourd’hui, en fonction du groupe cible?»
L’auditoire a le droit de connaître la compré-
hension de la réalité que présuppose le texte: «Ça
s’est vraiment passé?» Souvent, le vrai trésor est
enfoui sous cette couche première. Une autre
question s’impose donc: «Pourquoi ce récit?» La
plupart du temps, il est nécessaire d’introduire la
narration, de proposer à l’auditeur une «clé» qui
identification), elles perdent de leur charme dès
lors qu’ils accèdent à la pensée et à l’examen ra-
tionnels.
Troisième raison: les histoires bibliques ne sont
pas immédiatement consensuelles, comme s’il
suffisait de les écouter pour savoir immédiatement
qui est Dieu et comment vivre en Lui étant
agréable. Du point de vue culturel, ces récits sont
inscrits dans un contexte spatio-temporel qui nous
est étranger, dans une société où femmes et en-
fants «appartenaient» à l’homme, où les guerres
faisaient partie du quotidien et où les vies hu-
maines avaient moins de prix, où les châtiments
corporels et la peine de mort n’étaient pas problé-
matiques, et où le droit à la quête individuelle du
bonheur n’avait pas encore été «inventé». Pour
qu’un récit biblique puisse déployer son action, il
faut apprendre aux personnes qui y sont confron-
tées à distinguer entre l’enveloppe historique et
les trésors de sens existentiel qu’elle renferme:
«Mais ce trésor, nous le portons dans les vases d’ar-
gile» (2 Cor 4,7).
Quatrième raison: aujourd’hui, ce trésor pro-
voque lui aussi des malentendus. Dans les histoires
bibliques, Dieu n’agit pas très différemment des
protagonistes humains. Il parle, agit, échafaude
des plans, se réjouit, se fâche, punit ou sauve, ce
qu’une personne élevée dans un environnement
laïc prendra au pied de la lettre, en y opposant sa
propre expérience de vie. Alors qu’elle devrait ré-
apprendre ce qui était apparemment évident jadis:
la parole de Dieu ne peut jamais être qu’une parole
impropre, approximative, métaphorique. Lorsqu’il
est écrit: «Dieu parla à Abraham», d’un point de
vue factuel cela veut dire: «Abraham a entendu
quelque chose»; ce n’est que du point de vue in-
Dr. Martina
Steinkühler
©Mauro Mellone